N° 324 du Canard Enchaîné – 13 Septembre 1922
N° 324 du Canard Enchaîné – 13 Septembre 1922
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Une armée rouge est aux portes de Brest
M. Poincaré s’en ira s’il le veut : Mais le gouvernement reste à Paris
En septembre 1922, les lecteurs du Canard enchaîné découvrent, médusés, qu’une « armée rouge » menace les portes de Brest. Pas de panique : il s’agit bien sûr d’une manœuvre militaire, transformée en satire par le journal. Derrière les dépêches alarmistes, les fausses cartes stratégiques et les envolées sur le « forcement de l’Aff », Le Canard démonte le jargon martial et se moque de la presse qui relaie sans recul ces bulletins dramatisés. Un numéro où l’humour antimilitariste éclaire la fragilité d’une France encore hantée par la guerre.
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L’article du 13 septembre 1922, titré « Une armée rouge est aux portes de Brest », illustre à merveille l’art du Canard enchaîné de tourner en dérision les simulacres guerriers et le ton catastrophiste de la presse dite sérieuse.
Depuis l’armistice de 1918, la France vit dans l’ombre du traumatisme de la Grande Guerre. L’armée continue d’organiser d’amples manœuvres pour entretenir l’esprit de discipline et de vigilance, tandis que les journaux, prompts à reprendre les communiqués officiels, dramatisent l’événement comme s’il s’agissait d’un véritable conflit. Le Canard, fidèle à son antimilitarisme, saisit ici l’occasion de brocarder ce théâtre martial.
Dès l’attaque du titre, le ton est donné : « Une armée rouge est aux portes de Brest ». Le lecteur croit à une alerte bolchevique, alors que tout n’est que jeu d’état-major. Cette confusion volontairement entretenue permet au journal de pointer la disproportion entre la réalité – des exercices de troupe – et la narration alarmiste diffusée dans la presse.
Les dépêches mises en scène par le Canard reprennent ironiquement le style télégraphique des bulletins militaires. On lit ainsi :
« À l’aube, la cavalerie du parti rouge bordera l’Aff et cherchera à le forcer. »
La précision topographique, les verbes guerriers (« forcer », « franchir », « enlever ») sont ridiculisés par l’insertion d’une rivière locale, l’Aff, élevée au rang d’enjeu stratégique mondial. Le contraste entre la modestie du décor et la solennité du discours souligne l’absurdité de ce langage belliqueux.
Le journal ironise aussi sur la logistique : l’envoyé spécial est « obligé de s’arrêter, faute d’argent », transformant le drame militaire en simple panne de budget. Et d’ajouter que les nouvelles envoyées par Havas sont « si vagues et confuses » qu’il vaut mieux ne pas les publier – un coup de griffe au rôle de l’agence comme relais docile de la propagande.
Le contexte politique renforce encore la charge satirique. Raymond Poincaré, président du Conseil, est évoqué comme un chef imperturbable, décidé à « rester à Paris » tandis que le tumulte sévit en Bretagne. Le Canard épingle ainsi le décalage entre la grandiloquence des communiqués et l’attitude placide du gouvernement.
Enfin, l’article épice son récit d’une fausse interpellation de Léon Daudet, figure de l’Action française, qui dénonce cette « armée rouge » comme une menace bien réelle et appelle au retour du roi. Le mélange de vrai et de faux, de citations inventées et de commentaires satiriques, accentue le ridicule d’une classe politique prompte à voir des périls partout.
Au fond, cet article révèle la double inquiétude de l’époque : la peur du bolchevisme, hantise de l’après-1917, et la volonté de maintenir une culture militaire dans une France encore meurtrie. Mais au lieu de se laisser emporter par l’hystérie, Le Canard choisit le rire : transformer une banale rivière bretonne en ligne de front, tourner en dérision les dépêches officielles et rappeler à ses lecteurs que l’ennemi est souvent moins dangereux que la propagande qui prétend l’annoncer.





