N° 327 du Canard Enchaîné – 4 Octobre 1922
N° 327 du Canard Enchaîné – 4 Octobre 1922
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Opérations sans douleur
Sous la présidence de M. Le Trocquer les chirurgiens tiennent leur Congrès
Scalpel en main, René Buzelin s’amuse des chirurgiens… et des politiciens. Dans ce congrès médical fictif, le Canard de 1922 s’amuse à rapprocher bistouris et finances publiques, scalpels et « charcutiers » de l’administration. Résultat : une satire piquante où l’on opère surtout les portefeuilles, et où l’art de « parer » les plaies rejoint celui d’augmenter les tarifs. Une opération sans douleur pour les maîtres du scalpel… mais pas pour leurs patients.
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À la une du Canard enchaîné du 4 octobre 1922, René Buzelin s’attaque, sous couvert de médecine, à deux cibles : les chirurgiens et, à travers eux, les gouvernants. L’article « Sous la présidence de M. Le Trocquer les chirurgiens tiennent leur Congrès » détourne l’actualité médicale pour livrer une charge ironique contre la manière dont on « opère » en France, qu’il s’agisse de corps ou de budgets.
Le congrès des « charcutiers »
Le prétexte est simple : un congrès annuel de chirurgiens à Paris. Mais dans la plume de Buzelin, l’événement devient une farce. Il joue sur l’ambiguïté du mot « charcutier », à la fois homme de l’art (le boucher habile) et qualificatif railleur attribué aux chirurgiens. Sous ses traits acérés, le congrès médical ressemble à une foire où chacun cherche moins à soigner les malades qu’à augmenter ses honoraires. Quand un orateur proclame qu’il faut « d’abord parer au plus pressé », toute l’assemblée y voit une justification pour rehausser les tarifs… et applaudit.
La critique vise la profession médicale, réputée cupide et parfois brutale, mais aussi le corporatisme d’élites jalouses de leurs privilèges. Les chirurgiens deviennent ainsi l’image grotesque d’une caste fermée, solennelle en apparence mais surtout préoccupée de son porte-monnaie.
Le Trocquer, un président symbolique
La satire prend une dimension politique en choisissant comme président du congrès M. Yves Le Trocquer, ministre des Travaux publics et ingénieur des Ponts et Chaussées. Ce choix imaginaire n’est pas gratuit : Le Trocquer incarne, dans l’esprit du Canard, une technocratie administrative où l’on « coupe », « ampute », « suture » et « répare » à coups de décrets comme on le ferait sur un patient. Son nom devient le scalpel politique par excellence.
Dans une République minée par l’inflation, les scandales financiers et les difficultés de la reconstruction d’après-guerre, Buzelin souligne que les responsables ne sont pas différents des chirurgiens : habiles à tailler dans le vif, prompts à parer les urgences, mais toujours soucieux de justifier une « augmentation ». Le congrès fictif devient ainsi la métaphore d’un gouvernement qui « opère » la nation, mais sans anesthésie sociale.
Une satire dans la tradition du Canard
Le Canard enchaîné des années 1920 excelle dans ce type de transposition burlesque. Le public rit en voyant les grands chirurgiens comparés à des charcutiers de foire, mais comprend aussi le sous-entendu : ce sont les élites — politiques, administratives, médicales — qui vivent en circuit fermé, loin des réalités du peuple. L’évocation de l’« opération sans douleur » est elle-même ironique : la douleur est bien réelle, mais ce sont les patients (ou les contribuables) qui la ressentent, pas les praticiens.
La chute est à l’avenant : après la séance, les congressistes déambulent joyeusement dans le Quartier latin, leurs trousses « chargées de dynamite », comme si leurs compagnies étaient prêtes à faire exploser la société à coup de scalpels. Une image forte, où la médecine se confond avec la politique, et où la promesse de soin se transforme en menace de démolition.
Conclusion
En octobre 1922, Le Canard enchaîné détourne un simple congrès médical pour livrer une critique sociale et politique. Derrière l’humour de Buzelin, c’est toute une époque qui se dessine : celle d’une France convalescente, encore marquée par les blessures de la guerre, mais dirigée par des élites perçues comme indifférentes aux souffrances populaires. Chirurgiens et ministres partagent le même travers : manier le scalpel sur les autres, tout en augmentant la note.





