N° 3448 du Canard Enchaîné – 26 Novembre 1986
N° 3448 du Canard Enchaîné – 26 Novembre 1986
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Les étudiants refusent Devaquet… à leurs occupations
Étudiants dans la rue, facs occupées, CRS en embuscade : à l’automne 1986, la loi Devaquet rallume des braises de Mai 68. À la une du Canard, Bernard Thomas signe « Rétro, Léo, Malraux », chronique jubilatoire et inquiète d’un pays gouverné par les joggers-libéraux et les ministres sécuritaires. Kerleroux, Cabu et Delambre croquent une jeunesse qui refuse d’être triée comme des produits.
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26 novembre 1986 : Étudiants, Devaquet et “mai en novembre”
Une jeunesse qui redescend dans la rue
L’édition du 26 novembre 1986 du Canard s’ouvre sur un titre qui sonne comme un slogan : « Les étudiants refusent Devaquet… à leurs occupations ». Depuis plusieurs semaines, lycéens et étudiants manifestent contre la réforme de l’enseignement supérieur portée par Alain Devaquet, ministre délégué du gouvernement Chirac. Sélection à l’entrée des facs, hausse des droits d’inscription, autonomie accrue des universités : le cocktail réveille une génération qui n’a pas connu Mai 68, mais qui retrouve d’instinct les AG, les blocages et les banderoles.
Le Canard résume d’un bandeau : « Étudiants : c’est mai en novembre ». Sous la plume de Bernard Thomas, l’article de une puis de page 2, « Rétro, Léo, Malraux », raconte une manif place de la République sous la pluie, avec ce sens du détail qui fait tout : slogans mouillés, baskets qui patinent, prénoms bricolés de figures étudiantes, et cette lassitude ironique du chroniqueur qui constate qu’on ne choisit pas toujours la saison de la révolte.
Devaquet, vitrine d’un projet de société
L’originalité du Canard, ce jour-là, est de ne pas s’en tenir à la seule question universitaire. Bernard Thomas relie la loi Devaquet à l’air du temps : montée des discours identitaires, obsession sécuritaire, conversion assumée à l’idéologie du marché. Les slogans de la droite dure sont passés en revue comme un inventaire grinçant : « La France aux Français », « Les Sarrasins à Poitiers », « Au trou les camés ! ».
Dans ce climat, la réforme des facs apparaît comme la pièce scolaire d’un puzzle plus vaste. Devaquet, explique le Canard, livre les universités « clés en main » aux industriels, afin qu’ils puissent sélectionner à la source leurs futurs cadres et orienter les recherches. Vision précoce d’une université mise au service de la compétition économique, bien avant que ces termes ne deviennent familiers.
Les dessins renforcent cette lecture. Kerleroux montre des étudiants qui refusent « la sélection à l’université » tout en résumant leur horizon : « Nous voulons être des chômeurs diplômés ». Le trait tient en deux bulles une inquiétude sociale que les discours officiels minimisent.
Cabu, Pasqua et l’ombre de la matraque
Autre trouvaille du numéro : le rapprochement entre la contestation étudiante et la politique sécuritaire du tandem Charles Pasqua / Robert Pandraud. Cabu croque un Chirac en uniforme lançant : « Si la chienlit continue… je nomme Pasqua à l’Éducation ! », tandis qu’un ministre de l’Intérieur menaçant surgit à l’arrière-plan.
Le Canard perçoit que la tentation est forte de répondre par la matraque à un mouvement massif mais pacifique. La suite des événements – charge policière et mort de Malik Oussekine, dans la nuit du 6 décembre – donnera raison à cette inquiétude. À la date du 26 novembre, la satire fonctionne comme alerte : en jouant avec le mot gaullien de « chienlit », le journal met en garde contre un remake musclé de 68.
“Rétro, Léo, Malraux” : un pays en plein décalage
La seconde partie du texte, en page intérieure, élargit encore le tableau. Par un jeu sur les noms, Bernard Thomas oppose le Malraux des grands récits gaulliens au « Léo » de François Léotard, jeune ministre de la Culture en jogging médiatique. Delambre illustre cette idée avec un coureur essoufflé : « Malraux, c’était La Condition humaine, moi c’est… la condition physique. »
La cible n’est plus seulement Devaquet mais toute une génération de dirigeants que le Canard décrit comme des « moi-moi-moinillons », fascinés par leur image, vendant la réussite comme on vend une paire de baskets. Face à eux, les étudiants refusent d’être taillés comme des produits de luxe : ils « se sentent du sang dans les veines, pas de la piquette ».
En quelques pages, cette édition de novembre 1986 capte donc bien plus qu’une réforme impopulaire. Elle saisit un moment charnière : celui où la jeunesse s’oppose à une France qui se rêve sécurisée, compétitive et parfaitement coiffée pour le marché. Trente-neuf ans plus tard, relire ce numéro, c’est retrouver les premiers tremblements d’un débat qui n’a jamais vraiment cessé.





