N° 370 du Canard Enchaîné – 1 Août 1923
N° 370 du Canard Enchaîné – 1 Août 1923
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Concurrence déloyale : Le Trocquer, fossoyeur zélé de la République
À l’été 1923, Le Canard enchaîné poursuit sa croisade satirique contre Yves Le Trocquer, ministre des Travaux publics de Poincaré, en le dépeignant cette fois en “Nécro-Poléon”, obsédé par les monuments commémoratifs et les inaugurations funèbres. Dans son article du 1ᵉʳ août, René Buzelin raille un gouvernement où l’art de “pérorer devant les tombes” devient une compétition nationale. Quand la Troisième République multiplie les plaques et les stèles, Le Canard y voit surtout une mise en scène du pouvoir — et un théâtre macabre où les vivants cherchent à se grandir à l’ombre des morts.
Dans la Ruhr, dessin de Mat – Un comble, dessin de Arsène Brivot –
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Commentaire : quand les ministres faisaient carrière sur les ruines
Dans la France de 1923, la guerre est finie depuis bientôt cinq ans, mais la fièvre commémorative bat son plein. Monuments aux morts, cérémonies patriotiques, inaugurations en série : le pays se couvre de marbre et de discours. C’est dans cette atmosphère que René Buzelin publie, en une du Canard enchaîné du 1ᵉʳ août, un texte d’une ironie cinglante intitulé « Concurrence déloyale », prolongé en page 2. L’auteur y met en scène une rivalité absurde entre Raymond Poincaré, président du Conseil, et son ministre des Travaux publics, Yves Le Trocquer, que le journal suit depuis des mois avec une constance railleuse.
Buzelin reprend un motif désormais familier pour les lecteurs du Canard : le ministre bâtisseur devenu fossoyeur. Tandis que Poincaré s’assure une gloire “quasi mondiale” en inaugurant les monuments aux morts, Le Trocquer, jaloux, se mettrait à rêver d’en faire autant, quitte à guetter la prochaine catastrophe ferroviaire pour y prononcer son petit discours. L’auteur pousse la satire jusqu’à imaginer un “tour d’inspection” dans la Ruhr où le ministre pourrait, par malheur, trouver une fin héroï-comique : la guerre des inaugurations tourne ici à la farce nécrologique.
Sous la moquerie, la charge politique est nette. En 1923, le gouvernement Poincaré, tout en menant l’occupation de la Ruhr, s’efforce d’entretenir le sentiment d’unité nationale par un patriotisme de pierre. Or, pour Le Canard enchaîné, ces cérémonies funèbres sont moins des hommages aux morts que des opportunités de prestige pour les vivants. L’hebdomadaire, qui se méfie des pompes républicaines comme des rhétoriques héroïques, y dénonce une politique qui transforme les voies ferrées et les places publiques en cimetière à ciel ouvert — “une vaste nécropole”, écrit Buzelin, “jalonnée de monuments aussi funèbres que commémoratifs”.
La satire s’achève sur une formule assassine, digne de la plume du Canard des années 1920 :
“Si la Mort elle-même avait encore à choisir un bon premier ministre, elle n’hésiterait pas à remplacer l’Intempérance par M. Yves Nécro-Poléon Le Trocquer.”
Tout est dit : le ministre, avatar d’un pouvoir technocratique et vaniteux, devient l’incarnation même d’une République malade de son culte du souvenir. Derrière le rire, une inquiétude sourd : celle d’un pays qui, à force d’ériger des stèles, risque de se figer dans la pierre — et d’oublier les vivants.
En résumé :
Avec Concurrence déloyale, Buzelin signe une pièce maîtresse de la série satirique consacrée à Le Trocquer. Sous couvert d’humour noir, Le Canard enchaîné épingle la dérive mémorielle d’une République qui, en 1923, construit autant de monuments qu’elle enterre d’idées.





