N° 39 du Canard Enchaîné – 28 Mars 1917
N° 39 du Canard Enchaîné – 28 Mars 1917
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Forceries d’enfants
Dans son édition du 28 mars 1917, Le Canard enchaîné livre un texte signé Gaston de Pawlowski, maître du canular et de l’anticipation absurde. Sous le titre « Forceries d’enfants », il décrit avec un sérieux feint une « découverte » venue de Berlin : le gigantisme infantile, méthode miracle censée transformer un enfant de dix ans en robuste soldat de dix-sept. Ici, la satire se nourrit de pseudo-science et de militarisme caricatural : quand la chair à canon manque, la solution se trouverait dans les éprouvettes. Un texte qui raille l’obsession guerrière et la logique déshumanisante de la mobilisation totale.
FAIRE PART, dessin de H-P Gassier
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Avec cet article, Gaston de Pawlowski déploie tout l’art du faux sérieux qui fit sa marque dans les premières années du Canard enchaîné. Intitulé « Forceries d’enfants », le texte parodie les discours scientifiques et médicaux détournés au service de la guerre. L’auteur part d’une métaphore agricole — ces « forceries » qui permettent de hâter la pousse des légumes — pour l’appliquer à l’espèce humaine : à Berlin, dit-il, des savants auraient mis au point le « gigantisme infantile », capable de fabriquer à la chaîne des adolescents-soldats à partir d’enfants de dix ans.
Le procédé comique repose sur une gradation absurde, exposée avec une rigueur faussement académique. Pawlowski convoque même le nom prestigieux du docteur Alexis Carrel, dont les recherches bien réelles sur les tissus cellulaires sont ici grossièrement détournées : puisqu’il est possible de stimuler artificiellement les tissus conjonctifs, pourquoi ne pas « accélérer » la croissance des enfants pour en faire de futurs fantassins ? Les enfants, ainsi « gonflés » de muscles mais gardant « le cerveau et l’intelligence peu développés », deviendraient la chair à canon idéale.
La charge ne s’arrête pas là. Elle tourne en ridicule le militarisme allemand et ses fantasmes pseudo-scientifiques, mais elle moque aussi, en creux, toutes les illusions technocratiques d’une guerre « moderne » où la science serait censée compenser l’hécatombe. Le summum de l’absurde est atteint avec cette « éducation intra-utérine » par phonographe, censée habituer l’enfant dès le ventre de sa mère aux commandements militaires !
En feignant de prendre au sérieux une telle « découverte », le Canard montre l’impasse d’une logique où la valeur humaine se réduit à des kilos de muscles. La chute est cinglante : « Ce n’est pas de livres que nos enfants ont besoin mais de kilos pour faire de bons soldats. » On retrouve là un des motifs récurrents du journal : dénoncer le sacrifice aveugle des jeunes générations, réduites à de la matière première pour l’abattoir des tranchées.
Dans ce texte, satire scientifique et antimilitarisme s’entrelacent pour livrer un pamphlet d’une efficacité redoutable. Sous couvert de canular, Pawlowski révèle en réalité le fond d’inhumanité qui guette toute guerre totale : la réduction des hommes, et plus encore des enfants, à de simples unités biologiques au service de l’État.





