N° 400 du Canard Enchaîné – 27 Février 1924
N° 400 du Canard Enchaîné – 27 Février 1924
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Une bonne méthode, par Victor Snell – La victoire en chantant… nous ouvre la carrière… Fermez ! Fermez ! Mais fermez donc ! Des canons ! Des munitions ! Conseil à Monsieur Coty – Le canard à 6 sous – les sanctions dans l’affaire du « Dixmude » – le projet de mobilisation civile – Les nouveaux tarifs ferroviaires : le point de vue du chef de garde, par Rodolphe Bringer – Encore une guerre de ratée ! Honneur aux jurés de seine-et-oise – Une belle journée patriotique : M. de Lasteyrie inaugure un monument en l’honneur du contribuable inconnu, les gardiens de la flamme – La santé du roi d’Italie – L’oncle incarné, roman spiriforme – Le bal de la bibliothèque rose – À titre posthume par G. de la Fouchardière – Contes du canard : le tacot – Pour entrer à la Comédie-Française Mademoiselle Falconetti n’hésite pas à vivre dans la misère –
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Le “right man in the right place” : quand Victor Snell tourne la Chambre en dérision
Une satire du népotisme parlementaire et de la morale élastique des années Poincaré
Sous le titre sobrement ironique « Une bonne méthode », Victor Snell signe dans Le Canard enchaîné du 27 février 1924 un petit chef-d’œuvre de satire parlementaire, qui résume à lui seul le ton du journal durant les dernières années du Bloc national. L’article part d’un fait banal — la séance de la Chambre des députés consacrée à la répression des fraudes fiscales — pour dérouler une mécanique d’ironie parfaite : faire du vice-président Arago, chargé de diriger les débats, le symbole d’un système politique où la compétence et la morale s’inversent joyeusement.
Le texte s’ouvre sur un constat pince-sans-rire : il est “évident” que M. Arago était “désigné plus que tout autre” pour présider une discussion sur les fraudes fiscales. Allusion claire à la réputation douteuse de l’intéressé, soupçonné d’arrangements financiers ou d’un rapport ambigu avec le fisc. L’ironie est totale : loin de dénoncer ce choix, Snell feint de l’approuver avec enthousiasme, saluant une “méthode excellente” — le fameux système du “right man in the right place”, que “les Anglais, nés malins, ont baptisé avant nous”.
Sous cette feinte admiration, le Canard démonte les travers d’une Troisième République encrassée par les connivences, les renvois d’ascenseur et l’hypocrisie institutionnelle. Chaque allusion frappe juste : après Arago et les “fraudes fiscales”, Snell imagine André Lefèvre présidant un débat sur les “aliénés” (sous-entendu : il en connaît un rayon), ou encore Maginot à la tête d’une discussion “sur les boissons”, voire “sur le Mardi-Gras”. Le procédé consiste à systématiser l’absurde pour mieux révéler la logique perverse du régime : à force de placer les corrompus aux postes de contrôle, la République tourne à la farce.
Le ton est léger, mais la charge est lourde. En 1924, la France vit la fin du Bloc national, coalition de droite et du centre menée par Raymond Poincaré depuis 1922. Ce gouvernement, obsédé par l’équilibre budgétaire et la rigueur fiscale, multiplie les scandales : fraude à la répartition des impôts, enrichissements douteux, favoritisme dans les marchés publics. Le Canard, dans sa veine la plus mordante, choisit de ridiculiser ces “honorables” parlementaires plus soucieux de leurs affaires que de celles du pays.
Snell, plume discrète mais redoutable, se livre ici à une satire d’horloger : chaque nom propre devient un contre-emploi. Arago, Maginot, Tapponnier ou Vidal sont convoqués comme autant de symboles d’une classe politique interchange able et complaisante. L’effet comique repose sur le décalage entre la gravité des sujets évoqués — fraude fiscale, alcoolisme, scandales coloniaux — et la désinvolture avec laquelle le journaliste imagine les traiter : “Voyant M. Maginot, on dirait : Ah ! c’est le régime des boissons !” ou encore : “Si c’est Magallon : Ce doit être pour le Mardi-Gras.” Tout devient carnaval : la politique n’est plus qu’une mascarade où les vice-présidents jouent les clowns.
Mais derrière le rire perce une critique plus grave : celle d’un Parlement incapable de se réformer. L’avant-guerre avait déjà vu fleurir le mot d’ordre du “pouvoir aux compétents”, aussitôt dévoyé par la cooptation des mêmes notables. En 1924, alors que la gauche du Cartel des gauches s’apprête à revenir au pouvoir, Le Canard souligne que la droite républicaine, usée et compromise, ne peut plus donner de leçons de morale. La “bonne méthode” de Snell devient alors le miroir d’un monde politique qui confond habitude et compétence, cumul et légitimité.
Ce texte, sous ses airs de boutade, illustre l’art satirique du Canard enchaîné dans les années 1920 : pas d’invective, pas de diatribe, mais un humour froid, chirurgical, qui sape le prestige de la Chambre en la renvoyant à son grotesque. Snell ne crie pas “À bas la corruption !” — il se contente de faire applaudir ceux qui en vivent. Et, comme souvent chez les plumes du Canard, c’est dans le rire que se cache le jugement le plus implacable.





