N° 402 du Canard Enchaîné – 12 Mars 1924
N° 402 du Canard Enchaîné – 12 Mars 1924
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M. Poincaré a promis que les élections auraient lieu au mois de mai… au mois de mai 1925, bien entendu – M. Poincaré a ses nerfs – L’union civique intervient : La grève des boueux – Un voleur maladroit : Le cas de monsieur Dorel – Publication obscènes : Déclaration de M. Le Flaoutter – Tout augmente – Des perquisitions chez les fonctionnaires : On découvre un complot contre la sûreté de l’état – Le prochain discours de M. Poincaré – Plus on est de Saints, plus on rit ! La canonisation des journalistes – En regardant baisser la livre – Au comité des experts : Les délibérations se poursuivent dans le calme et la confiance – Les événements du Maroc : Une grande victoire espagnole – D’après le plongeur de chez Maxim’s, par G. de La Fouchardière– L’avant dernier des mohicans – Chez le boucher, dessin de René Dubosc – Charité, dessin de Varé
déchirure sur le bord droit, petits manques, restaurations
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Quand La Fouchardière mêle carnaval, duels et plongeurs : chronique d’une Troisième République à la dérive
Un art du détournement où le trivial éclaire le politique
Avec sa verve coutumière, Georges de La Fouchardière livre dans sa chronique de l’“Œil-de-Bouif”, publiée les 12 et 13 mars 1924, un morceau d’humour populaire et politique typique du Canard enchaîné des années vingt. Sous le titre « D’après le plongeur de chez Maxim’s », il tisse une fable carnavalesque où le grotesque sert à révéler le ridicule des puissants — en l’occurrence Raymond Poincaré, président du Conseil, empêtré dans une affaire de duel imaginaire.
Tout commence par un dialogue entre Bouif et Bicard, ses deux figures familières, autour des déguisements du Mardi gras. Dans le ton gouailleur d’un bistrot parisien, La Fouchardière joue sur le burlesque du travestissement : un ami, Gradouille, s’est fait passer pour un employé de Dufayel (le grand magasin de crédit populaire), puis du Matin, célèbre journal de la droite modérée, pour annoncer aux gens qu’ils avaient “gagné le million du Matin”. L’escroquerie ratée de Gradouille tourne à la farce, jusqu’à ce qu’elle l’amène — comble du hasard satirique — chez Stéphane Lauzanne, le directeur du Matin lui-même, symbole de la presse bien-pensante et nationaliste.
À travers cette anecdote ubuesque, La Fouchardière dresse un portrait au vitriol d’une France engluée dans ses hypocrisies sociales. Ses personnages — Gradouille, Bicard, Bouif — représentent le petit peuple goguenard, témoin lucide des faux-semblants bourgeois : ceux du journalisme d’affaires, des récompenses illusoires, de la morale à géométrie variable. Mais sous la farce du “million du Matin” se cache une satire politique beaucoup plus précise : celle du monde médiatico-politique où la vérité n’est jamais qu’une “mise en scène” — à l’image du duel Poincaré–Le Provost de Launay qui sert de chute à la chronique.
Dans ce duel prétendument manqué, tout est faux : les témoins s’envoient des témoins “en qualité de témoins”, chacun saluant la loyauté de l’autre, tandis que la presse invente un affrontement pour le plaisir d’exciter l’opinion. La Fouchardière s’en amuse avec une ironie qui vire à la dissection morale : “Il n’était pas question de duel, même avec des bouchons au bout des épées… Tout le monde s’est comporté civilement et honorablement, excepté les typographes du Journal officiel.” L’épilogue est typique de l’esprit du Canard : une pique aux journalistes serviles et aux institutions qui transforment les vanités politiques en feuilletons héroïques.
Le contexte éclaire cette ironie. En mars 1924, Poincaré dirige encore le gouvernement du Bloc national, coalition conservatrice ébranlée par les scandales et l’usure du pouvoir. Son image, celle d’un “notaire de la République” austère, subit les attaques d’une gauche combative et d’une presse satirique qui voit en lui le symbole d’un régime d’ordre moralisateur mais corrompu. Les rumeurs d’un duel avec le député Le Provost de Launay, à propos d’une insulte parlementaire, avaient effectivement couru à la Chambre — preuve de la sensibilité nerveuse d’une époque où la politique flirte avec le vaudeville.
La Fouchardière, en journaliste de comédie humaine, transforme cette agitation en mascarade : les “témoins” deviennent les figurants d’une République qui se regarde jouer au théâtre d’honneur pendant que le peuple s’en amuse. Le “plongeur de chez Maxim’s” — dernier maillon de la chaîne des racontars — devient alors le symbole du Canard lui-même : celui qui plonge dans les dessous des choses pour en rapporter, non la vérité officielle, mais son reflet grotesque.
Au fond, cette chronique dit tout du style de La Fouchardière : un mélange d’observation sociale, de fantaisie littéraire et de satire morale. Derrière la blague de comptoir, il y a une idée politique limpide : la Troisième République vit dans une comédie permanente où chacun joue son rôle — ministres, journalistes, concierges, plongeurs — mais où le dernier mot appartient toujours à ceux qui rient.
Et, en mars 1924, à la veille du triomphe du Cartel des gauches, ce rire sent déjà la revanche populaire.





