N° 531 du Canard Enchaîné – 1 Septembre 1926
N° 531 du Canard Enchaîné – 1 Septembre 1926
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Enfin, nous sommes gouvernés
Dans son article Enfin, nous sommes gouvernés publié à la une du Canard enchaîné du 1er septembre 1926, Jules Rivet tourne en dérision le nouveau gouvernement Poincaré, fraîchement revenu aux affaires pour “sauver le franc”. Sous couvert d’un faux compte rendu de “conseil de cabinet quotidien”, il décrit une troupe de ministres s’agitant en rond — entre débats sur le fromage de gruyère, le prix du franc et les vacances des écoliers. Le sérieux gouvernemental devient ici un vaudeville administratif : derrière la façade de l’effort et du devoir, Rivet révèle la comédie permanente de la IIIe République.
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Le Canard enchaîné du 1er septembre 1926 s’ouvre sur un titre triomphal : Enfin, nous sommes gouvernés. À lire Jules Rivet, on comprend vite qu’il s’agit d’une ironie pure. Le texte, faussement solennel, relate le “dernier conseil de cabinet” présidé par Raymond Poincaré, revenu depuis juillet à la tête du gouvernement pour enrayer la chute du franc et restaurer l’ordre financier. Mais au lieu du sauveur républicain promis par la presse sérieuse, Rivet met en scène une troupe de ministres pantelants, bavards et dérisoires, discutant avec gravité… du fromage de gruyère.
C’est toute la force du Canard de ces années-là : transformer la politique économique en farce nationale. Sous la plume de Rivet, chaque ministre devient un personnage de comédie. Louis Marin s’emporte contre “les vacances, faites pour ceux qui n’ont rien à f…”, Herriot tourne son chapeau pour commenter la “réforme scolaire”, Painlevé s’agite “comme la guerre-guerre”, et Barthou disserte doctement sur les mamelles des vaches et la fabrication du gruyère. Pendant ce temps, le franc continue de plonger, et la République se félicite de “travailler tous les jours pour le bien de la Nation”.
La satire s’ancre dans le contexte brûlant de l’été 1926. Depuis plusieurs mois, la France traverse une crise monétaire majeure : la monnaie nationale a perdu la moitié de sa valeur, les capitaux fuient, les rentiers paniquent. Pour restaurer la confiance, Poincaré forme un gouvernement d’union, mêlant anciens radicaux et conservateurs. Sa promesse : rigueur, discipline, travail — les maîtres mots d’une morale politique et économique “redressée”. Mais pour Le Canard, cette “union sacrée” du bon sens et de la vertu n’est qu’un théâtre où chacun joue son rôle sans conviction.
L’ironie culmine dans la rubrique “Affaires diverses”, où Rivet énumère les décisions du jour comme s’il lisait le procès-verbal d’une réunion de copropriété : un tableau acheté pour la Marine, un ministre qui surveille un “vieil amiral fâcheux”, un autre qui déclare placer ses économies à la Caisse d’Épargne. Ce mélange d’anecdotique et de grotesque fait mouche : en voulant incarner le sérieux d’État, le gouvernement Poincaré apparaît comme un orchestre bureaucratique jouant faux à force de vouloir rassurer.
L’article se conclut sur une note faussement rassurante : “Le prochain Conseil de Cabinet aura lieu ce soir. Le suivant aura lieu demain.” Autrement dit : rien ne changera. Le rythme effréné des conseils ne produit qu’une illusion d’activité — celle d’un pays gouverné par le mouvement perpétuel des discours.
En somme, Rivet signe ici une pièce d’anthologie du Canard enchaîné de l’entre-deux-guerres : une chronique où la satire politique se fait observation sociologique. Derrière le rire, une angoisse réelle : celle d’une République en crise permanente, qui compense son impuissance par l’agitation. “Enfin, nous sommes gouvernés”… mais par qui ? C’est bien la question que le Canard pose, et qu’il continuera de poser, semaine après semaine, avec la même insolente lucidité.





