N° 544 du Canard Enchaîné – 1 Décembre 1926
N° 544 du Canard Enchaîné – 1 Décembre 1926
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À la façon de… Barbarie, mon ami !
Le 1er décembre 1926, Pierre Scize signe dans Le Canard enchaîné un texte au vitriol : À la façon de… Barbarie, mon ami ! — une parodie lyrique en hommage inversé à Raymond Poincaré, alors président du Conseil. S’inspirant du refrain d’Aristide Bruant (“À la façon de Barbarie !”), Scize ridiculise l’homme d’État qui, du haut de sa raideur morale, ose déclarer à la Chambre : “J’ai fait la guerre à ma façon. Et ce n’était pas la plus mauvaise !” Un chef-d’œuvre de sarcasme : sous la farce, l’accusation d’un cynisme d’État qui transforme l’horreur de 14-18 en matière à auto-glorification.
Mes mémoires (Fragments), par Joséphine Baker, P.c.c. Jules Rivet
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Lorsque Le Canard enchaîné du 1er décembre 1926 paraît, Raymond Poincaré est revenu au pouvoir depuis l’été pour “sauver le franc” et redresser une République fatiguée. L’homme de la “fermeté lorraine”, celui qui avait conduit la France à la guerre en 1914, redevenait une figure d’autorité. C’est précisément cette posture que Pierre Scize dynamite dans À la façon de… Barbarie, mon ami !, un texte d’une ironie tranchante, où l’auteur transforme la rhétorique guerrière de Poincaré en chant grotesque.
Tout part d’une phrase, prononcée par Poincaré à la Chambre des députés, en réponse à un adversaire politique :
“J’ai fait la guerre à ma façon. Et ce n’était pas la plus mauvaise !”
Cette réplique, que la presse sérieuse salua comme un mot d’homme d’État, devient sous la plume de Scize une confession absurde, un lapsus d’orgueil transformé en aveu de culpabilité.
Scize reprend ce “à ma façon” comme un refrain de café-concert, façon Aristide Bruant ou Fréhel. Il érige Poincaré en chanteur de la barbarie, poète involontaire d’une guerre conduite “comme on conduit une revue”. Il imagine le président du Conseil sur un tréteau, trépignant, “le petit Monsieur en casquette de chauffeur, hurlant sur les routes de l’Est pavoisées de gendarmes”. L’image, féroce, oppose l’énergie mécanique du politicien à la chair souffrante des soldats.
Le ton oscille entre le grotesque et le tragique. Derrière les effets comiques — les “draps mouillés froissés” de sa voix, sa “barbiche galopant au plus creux de la vallée” —, Scize fait sentir toute la violence symbolique de cette phrase : un homme qui se glorifie de “sa façon” de faire la guerre, c’est-à-dire d’avoir envoyé à la mort une génération entière. La dernière partie du texte s’enflamme :
“Et ça n’était pas la plus mauvaise ! Vous l’entendez, gens de Craonne et de Verdun ? Vous, fusillés de Vingré, mutins de Cœuvres, bétail fauché par des balles françaises ?”
Le rire s’efface ; le pamphlet devient réquisitoire. Scize, comme souvent dans ses grands textes, tire sa puissance du contraste entre l’ironie légère du début et l’indignation finale. Derrière l’humour voltairien perce la voix d’une conscience blessée.
Cette attaque n’est pas isolée. En 1926, Le Canard enchaîné est l’un des rares journaux à oser rappeler la responsabilité morale des dirigeants de 1914, alors même que la République panthéonise ses “sauveurs”. Poincaré, revenu en redresseur financier, s’y prête tout particulièrement : le “petit homme de Sampigny” incarne à la fois la rigueur budgétaire et la froideur patriotique. Scize lui oppose l’humanité mutilée des anciens combattants — ceux que l’on cache, que Le Canard avait déjà défendus dans La carrière et les gueules cassées, trois semaines plus tôt.
Dans ce texte, Pierre Scize dépasse la satire politique pour atteindre une dimension quasi poétique : il transforme la parole de Poincaré en symptôme de barbarie civilisée — celle d’un pouvoir qui, tout en se disant raisonnable, reste pétri de la brutalité de la guerre.
En 1926, Le Canard enchaîné ne se contente plus de ricaner : il écrit l’histoire morale de l’après-guerre. Et Pierre Scize, en troubadour acerbe, y chante une France qui s’écoute parler de courage pour mieux oublier sa lâcheté.





