N° 550 du Canard Enchaîné – 12 Janvier 1927
N° 550 du Canard Enchaîné – 12 Janvier 1927
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Propos d’un cochon de pessimiste
Dans Le Canard enchaîné du 12 janvier 1927, Pierre Scize signe un brûlot d’une lucidité cruelle : « Propos d’un cochon de pessimiste ». Derrière un humour noir et une verve hallucinée, il fustige l’insouciance d’un pays qui s’endort sur son “franc fort” tandis que les poudrières du monde s’allument. De la Chine au Maroc, du Yang-Tsé à la Sardaigne, tout explose déjà — mais le “Français moyen” dort tranquille, satisfait de sa rente et de son vin. Scize, prophète de malheur moqué par ses contemporains, annonce avec ironie la tempête à venir : celle d’une Europe qui n’a rien retenu de 1914.
Regrets, dessin de Paul Ferjac.
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Le 12 janvier 1927, Le Canard enchaîné publie un texte d’une étonnante puissance visionnaire signé Pierre Scize : « Propos d’un cochon de pessimiste ». Dans cette chronique féroce, l’auteur raille l’autosatisfaction béate du “Français moyen”, ce personnage récurrent de la satire de l’entre-deux-guerres, convaincu que “tout va très bien” parce que la Bourse se redresse et que le franc de Poincaré semble sauvé. Mais sous les bons mots, c’est un diagnostic terriblement lucide que Scize adresse à son temps : l’Europe se croit sortie de la guerre, alors qu’elle marche à nouveau dans la soute aux poudres.
Le texte s’ouvre sur une formule corrosive : « Je connais un nombre considérable de gens nés natifs de France, qui […] montrent l’optimisme des goujons dans le vivier d’une guinguette. » Scize se moque de ces citoyens “contents, contents”, incapables de voir que la société, à peine remise de la boucherie de 14-18, prépare déjà les conditions d’un nouveau désastre. Le ton, mordant et familier, mêle l’argot et la haute culture, passant sans transition d’une allusion à Prométhée à la caricature d’un “monsieur rose et portant lunettes d’écaille”. Le “Français moyen”, pour Scize, est cet animal satisfait qui confond confort matériel et paix durable.
L’ironie du titre — “cochon de pessimiste” — repose sur un renversement typique du Canard enchaîné. Scize n’est pas pessimiste : il est simplement lucide. Ce sont les optimistes, “ces braves andouilles qui bavent d’admiration pour leurs propres mérites”, qui lui paraissent dangereux. L’article se déploie alors comme un inventaire des signes avant-coureurs du chaos mondial : la révolte chinoise sur le Yang-Tsé, les tensions coloniales au Maroc, les escarmouches en Syrie, la montée du fascisme italien (“le contraste des gueules noires sur la falaise crayeuse face à la Sardaigne”), et jusqu’à l’ombre du Japon et des États-Unis, que Scize voit déjà s’armer en silence.
“Le monde est plein de fumerolles”, écrit-il — une image d’une justesse saisissante. Nous sommes en 1927 : l’Europe se croit protégée par les accords de Locarno et la Société des Nations, la France savoure la stabilisation du franc, et la bourgeoisie goûte enfin la paix des salons. Mais Scize, lui, voit les fissures : la “soute aux poudres” s’étend, et chacun joue avec des allumettes. La référence à Prométhée, en exergue, résonne alors comme un avertissement mythologique : ne touchez pas au feu.
La dernière partie du texte achève le tableau avec une ironie d’une noirceur presque prophétique. Le “Français moyen” vit heureux, “caresse ses poules”, se repaît de propagande patriotique et “applaudit Briand quand il essaye d’éteindre le feu au moyen d’un biberon”. Mais Scize imagine déjà la suite : “Si demain le facteur t’apporte la feuille de mobilisation, tu graisseras tes bottes et tu partiras du pied gauche. La larme à l’œil, le cœur battant et le diaphragme sautant au son du tambour.”
Tout est dit : le cycle de la guerre, du mensonge et du sacrifice recommence.
Sous le sarcasme, c’est un cri de désespoir. Dans ce Canard de 1927, Pierre Scize pressent déjà ce que beaucoup refuseront de voir jusqu’à Munich : l’illusion d’une paix fondée sur la mémoire courte. “Prométhée aux enfants”, écrivait-il en épigraphe — comme un avertissement au monde qui joue, une fois encore, avec les allumettes.





