N° 56 du Canard Enchaîné – 25 Juillet 1917
N° 56 du Canard Enchaîné – 25 Juillet 1917
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Le badaud parle
Dans Le badaud parle, Marc Henry transforme une promenade mondaine en une parabole ironique sur la guerre et ses illusions. Derrière la légèreté des scènes décrites à l’avenue du Bois se dessine un dialogue grinçant entre un badaud et… un perroquet patriote.
LA GALERIE, dessin de H-P Gassier
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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Avec cet article, Marc Henry signe un texte qui illustre parfaitement l’art du Canard enchaîné de 1917 : mêler chronique légère et satire politique, humour d’observation et critique des illusions patriotiques.
L’ouverture, presque impressionniste, semble tirée d’un roman parisien : soleil sur les pelouses, élégantes qui flânent, promeneurs raffinés. Mais la douceur de la scène bascule lorsqu’apparaît la véritable héroïne du texte : une dame avec son perroquet. L’oiseau, prénommé Jacquot (ou plutôt Gustave, rectifie-t-il avec superbe), devient le miroir grotesque de la France cocardière.
Car ce perroquet a appris à crier les slogans patriotiques de l’arrière : « À Berlin ! », « Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau ! ». Un oiseau transformé en haut-parleur de la propagande, répétant mécaniquement les formules exaltées que l’on retrouve à la fois dans les chansons de café-concert, les proclamations officielles et les conversations de salon. Marc Henry joue sur le comique de répétition, mais aussi sur l’absurde : le perroquet est pris pour modèle, voire pour héros, quand il ne fait que reproduire sans comprendre les cris qu’on lui a enseignés.
Le contraste est violent : alors que les soldats meurent dans les tranchées, la société de l’arrière se contente de psittacisme, c’est-à-dire de répéter sans réfléchir les mots d’ordre officiels. Le perroquet devient ainsi la métaphore mordante de ces patriotes de salon qui, sans connaître la guerre, en reproduisent les stéréotypes avec zèle et inconscience.
En fin de texte, l’anecdote tourne à la fable : interrogé, l’oiseau corrige son nom et réclame d’être appelé « Gustave » – ironie ultime qui humanise le perroquet tout en ridiculisant davantage les humains qui l’écoutent.
Publié à l’été 1917, alors que la lassitude et les doutes grandissent dans le pays, ce conte satirique illustre la manière dont Le Canard utilise l’humour animalier pour mieux dénoncer les postures creuses de l’arrière. La guerre, elle, ne se vit pas sur les boulevards ni dans les cages dorées : le perroquet Gustave, en répétant ses slogans, révèle surtout le vide d’un discours convenu et la vacuité de ceux qui s’en contentent.
Marc Henry (1875-1939)
Journaliste, critique littéraire et écrivain, Marc Henry – de son vrai nom Marcel Henri – mena une carrière féconde dans la presse française de la première moitié du XXᵉ siècle. Collaborateur de plusieurs journaux parisiens, il se fit remarquer par son style élégant, volontiers ironique, et par une plume capable de passer du reportage à la chronique mondaine.
En 1917, il contribua au Canard enchaîné, où son humour raffiné se prêta parfaitement aux « contes » satiriques qui parsemaient alors les colonnes du journal. Dans Le badaud parle (25 juillet 1917), il tourne en dérision l’esprit cocardier de l’arrière en lui donnant la voix absurde d’un perroquet, manière subtile et caustique de dénoncer le psittacisme patriotique et la vacuité des slogans.
En parallèle, Marc Henry mena une carrière d’écrivain et de critique, publiant romans, essais et recueils de chroniques. Son goût pour l’observation du quotidien et la satire sociale l’inscrit dans la lignée des chroniqueurs parisiens qui savaient faire dialoguer humour, littérature et journalisme.