N° 560 du Canard Enchaîné – 23 Mars 1927
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Pour fêter la venue de renforts
Dans Le Canard enchaîné du 23 mars 1927, Pierre Scize pousse un cri mêlé de colère et de mélancolie : « Pour fêter la venue de renforts ». Sous l’apparence d’une chronique ironique, il dénonce la résurgence du militarisme intellectuel et la complaisance des “élites pacifistes” face à la remobilisation morale du pays. Au détour d’un hommage vibrant à Romain Rolland, banni pour avoir refusé l’unanimisme guerrier de 1914, Scize rappelle que “les temps sont revenus du rire libre sous le ciel de France, mais les masques sont là, prêts à servir encore”. Satire et gravité s’y mêlent avec une intensité rare.
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Le 23 mars 1927, Pierre Scize signe dans Le Canard enchaîné un texte d’une profondeur inhabituelle, à la fois brûlot politique et méditation morale : « Pour fêter la venue de renforts ». Derrière le ton railleur, il livre une dénonciation implacable du retour de la pensée nationaliste et de la “mobilisation intellectuelle” qui, à ses yeux, prépare une nouvelle guerre.
L’article s’ouvre sur une fausse légèreté : “Allons, il va falloir envoyer le garçon du café du coin acheter deux mètres d’étamine, quelques blasons à mon chiffre et deux ou trois aunes de guirlandes.” Sous le vernis d’ironie, Scize raille l’enthousiasme médiatique entourant la “venue de renforts” — non pas de soldats, mais d’intellectuels ralliés à la défense nationale. Les signataires de la revue Europe, dont Séverine et Georges Pioch, viennent de publier une déclaration d’adhésion aux principes de la “mobilisation intellectuelle” prônée par la loi Boncour : orienter les “ressources du pays dans le sens des intérêts de la Défense nationale”. Pour Scize, cet acte est une capitulation morale.
“Les États en guerre ont toujours exigé la complicité de leurs élites”, écrit-il. Cette phrase résume tout. Ce que le journaliste reproche à ses contemporains, c’est d’avoir oublié les leçons de 1914. Au lieu d’opposer à l’État une conscience libre, la génération des écrivains “pacifistes” s’aligne docilement sur la rhétorique du devoir patriotique. Dans un passage d’une ironie mordante, il imagine les mêmes intellectuels, bravant jadis la censure au nom de la paix, “répétant aujourd’hui la mythologie de la Défense nationale”. Sous sa plume, les “braves gens de la revue Europe” deviennent les nouveaux tambours du consentement, animés par “l’aberration universelle” qui, dit-il, “excuse tout”.
Mais l’article bascule ensuite vers un ton grave, presque elegiaque. Scize invoque la mémoire de Romain Rolland, l’écrivain exilé en Suisse pendant la Grande Guerre, honni par la presse nationaliste pour avoir refusé de “choisir un camp”. “Un homme, parmi cent vingt millions de bêtes”, écrit Scize, reprenant une image biblique. Il rappelle les injures, les exclusions, la haine que la France versa sur Rolland — “son nom mêlé à tant d’ignobles épithètes, son œuvre cent fois honnie”. Ce passage, d’une intensité rare, rompt avec le ton satirique habituel du Canard. Scize s’y révèle non plus pamphlétaire, mais moraliste, rappelant à ses lecteurs que “l’âme humaine n’a rien de plus bas, d’abject, de salissant que ce qu’elle infligea à Romain Rolland”.
Dans sa conclusion, il revient au ton du Canard : “Ces choses-là méritaient peut-être qu’on les écrive simplement, avec tristesse, dans ce journal gai.” Il rend ainsi hommage à la vocation première du Canard enchaîné : faire rire pour dénoncer, masquer l’indignation sous la bouffonnerie. “Pour manifester leur indignation, ils durent se couvrir d’un masque hilare”, écrit-il, “et du fouet de la satire camouflée, faire une marotte de bouffon.”
Et la phrase finale résonne comme une mise en garde : “Les temps sont revenus du rire libre sous le ciel de France. Mais les masques sont là, prêts à servir encore.”
En mars 1927, cette dernière phrase a la résonance d’un pressentiment. Dix ans après la fin de la Grande Guerre, la France retrouve ses vieux réflexes : la peur, la discipline, le chauvinisme sous vernis de raison d’État. Scize, fidèle à l’esprit du Canard, oppose à cette dérive un humour tragique — celui des hommes libres, qui continuent à rire dans la soute aux poudres.





