N° 590 du Canard Enchaîné – 19 Octobre 1927
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19 octobre 1927 : cinq cent soixante ombres au Panthéon
Sous la plume de Pierre Scize, Le Canard enchaîné pleure les écrivains tombés au front — et fustige l’hypocrisie des cérémonies officielles. Neuf ans après la guerre, la République panthéonise ses poètes mais oublie leurs leçons. Entre colère et mélancolie, Scize dénonce le commerce de la gloire et rend leur voix aux “âmes perdues” de 1914-18.
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🪶 Commentaire – “Cinq cent soixante…” de Pierre Scize (Le Canard enchaîné, 19 octobre 1927)
Dans son billet d’une puissance rare, Pierre Scize dresse un tableau d’une lucidité douloureuse sur la France de l’après-guerre. À l’occasion de la cérémonie d’hommage aux 560 écrivains morts au combat, organisée au Panthéon en présence du président Doumergue et du gouvernement Herriot, il oppose la solennité des discours officiels à l’amertume du peuple et à l’indignation des survivants.
Sous le vernis patriotique, Scize dévoile le grand mensonge commémoratif : celui d’une nation qui transforme en spectacle ce qu’elle a perdu de plus précieux — “la meilleure substance de son art, de son cerveau, de son âme”. Là où les dignitaires voient une gloire, il ne distingue qu’un “bric-à-brac marchand”, une entreprise de récupération morale et politique. L’émotion sincère est absente ; les orateurs, tel Herriot, apparaissent comme des “pleureurs officiels”, éloquents mais impuissants à donner sens à la boucherie passée.
Scize s’en prend avec véhémence à la rhétorique funèbre de la Troisième République, cette éloquence larmoyante qui masque le cynisme des élites et la passivité du pays. “Vous disiez : la France qui naîtra de notre sacrifice sera généreuse et libre”, écrit-il à ces morts trahis. Mais l’espoir de 1918 s’est mué, neuf ans plus tard, en désillusion : la guerre n’a enfanté qu’un monde de calculs, d’arrangements et de “faiseurs de profits”. La jeunesse héroïque a été remplacée par une génération de marchands.
Sous le deuil, c’est donc la crise morale de la France que dénonce l’auteur : une société en paix qui vit déjà dans la compromission, entre le nationalisme du souvenir et l’indifférence matérialiste. Sa voix, d’un lyrisme tragique, rejoint celle de Barbusse ou Dorgelès, mais avec le ton propre au Canard, celui de la révolte contenue et de la pudeur blessée. Il réclame une parole vraie, débarrassée de la fausse grandeur, “plus courbée sous le joug d’une cruelle fatalité mais redressée dans une brutale franchise”.
Cet article marque l’un des plus beaux moments du Canard enchaîné des années 1920 : à mi-chemin entre la satire et l’oraison funèbre, Scize y transforme l’ironie en une arme morale. Derrière son indignation sourde, on entend toute la douleur d’une génération qui, neuf ans après l’armistice, n’a toujours pas fait la paix avec ses morts.





