N° 608 du Canard Enchaîné – 22 Février 1928
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22 février 1928 : Painlevé introuvable à Nantua !
…On se perd en conjectures, par Drégerin
Neuf jours après son “installation” dans l’Ain, l’ancien président du Conseil n’a toujours pas quitté Nantua… ou peut-être n’y est-il jamais arrivé. Le Canard s’en amuse : sosie, enlèvement, séquestration ? La comédie électorale tourne à la disparition politique.
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🪶 Commentaire – “M. Painlevé serait toujours à Nantua-Gex” par Drégerin (Le Canard enchaîné, 22 février 1928)
Le feuilleton Painlevé se poursuit. Après “M. Painlevé abandonne Cannes” la semaine précédente, Le Canard enchaîné remet ça, et plus fort encore, dans son édition du 22 février 1928. Sous la plume de Drégerin, la chronique de campagne de l’ancien président du Conseil vire cette fois à la farce à épisodes. On ne parle plus d’un homme politique en tournée électorale, mais d’un personnage égaré dans une comédie de boulevard à la Feydeau : on le cherche, on le perd, on croit l’avoir retrouvé, on soupçonne même qu’il a un sosie !
Le Canard s’empare de ce thème avec une jubilation visible : neuf jours après l’annonce de sa candidature à Nantua-Gex, Painlevé est toujours sur place, sans que personne ne comprenne pourquoi. “C’est assez dire, et cela apparaît dès maintenant à tous les esprits que cette situation fausse ne saurait se prolonger davantage sans compromettre dangereusement le prestige personnel de M. Painlevé.” La phrase pastiche le ton pontifiant de la grande presse politique — celle qui, dans Le Temps ou L’Œuvre, commente les déplacements ministériels comme des manœuvres stratégiques.
Mais chez Drégerin, la rhétorique officielle devient un ressort comique. Le ministre de la Guerre “ne change pas de circonscription”, “continue à organiser des réunions publiques”, “comme s’il se présentait réellement”. Puis viennent les hypothèses absurdes : serait-il “séquestré ”? gardé “à vue” par ses propres partisans ? remplacé par un double ? À force de brouiller les pistes, Le Canard transforme l’errance électorale en véritable enquête policière. Le ressort du gag repose sur une logique parodique : plus les formulations imitent la gravité journalistique, plus l’absurde devient savoureux.
Ce comique du “Painlevé introuvable” fait écho au climat politique de l’hiver 1928. La France s’apprête à voter sous le nouveau scrutin d’arrondissement, et les ministres-candidats sillonnent le pays à la recherche de bastions sûrs. Painlevé, battu à Paris, multiplie les tentatives : Cherbourg, Cannes, enfin Nantua, où il semble s’être enlisé. Le Canard enchaîné y voit la métaphore d’un régime essoufflé, dont les dirigeants n’arrivent plus à quitter la scène — ni même à choisir la direction à prendre. “On se perd en conjectures”, titre le journal : c’est tout le commentaire politique de la IIIᵉ République résumé en une phrase.
Drégerin mêle au récit drolatique quelques touches de surréalisme journalistique : un Painlevé prisonnier d’un hôtel surveillé par “une sorte de garde du corps à la solde de MM. Appell et Brandon”, un autre qui s’égarerait dans la Manche sous l’œil inquiet des “républicains-socialistes de Cherbourg”. Et pour conclure, une note d’humour ravageuse : à Cannes, des partisans fondent une “Fédération des anciens électeurs de Painlevé”, présidée par le maréchal Pétain. Autrement dit : même ceux qui ne le suivent plus s’organisent pour le regretter.
Ce deuxième épisode confirme le talent collectif du Canard pour transformer la chronique politique en théâtre d’ombres. Painlevé devient une figure presque mythologique — à la fois ubiquiste, fantomatique et comique. Sa campagne impossible illustre la dérive routinière du parlementarisme de la fin des années 1920, ce moment où les “hommes d’État” ont cessé d’avoir un cap mais continuent de voyager en première classe.
Sous couvert de plaisanterie, le Canard signe ici un portrait d’époque : une République tournée en dérision, où les candidats se perdent comme des touristes et où la satire, seule, garde le sens de l’orientation.





