N° 611 du Canard Enchaîné – 14 Mars 1928
N° 611 du Canard Enchaîné – 14 Mars 1928
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La Gerbe d’or
Sous le titre « La Gerbe d’or », Henri Béraud livre dans Le Canard enchaîné du 14 mars 1928 une chronique au parfum d’enfance et de cendre. Derrière le souvenir attendri d’un ami inventeur et du rêve d’un microscope, se dessine un autoportrait discret de l’écrivain lyonnais : enfant curieux, ébloui par la science et bridé par la morale paternelle. Dans ce récit d’apprentissage, la France d’après-guerre s’invite en filigrane — celle où la raison scientifique se heurte encore à la pudeur bourgeoise et à la foi. Béraud, qui fut pamphlétaire avant tout, y révèle ici son versant sensible et humaniste.
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Paru en page 2 du Canard enchaîné du 14 mars 1928, l’article La Gerbe d’or , signé Henri Béraud, tranche avec le ton caustique habituel du journal. C’est un texte empreint de nostalgie, presque une confession : l’auteur y raconte un souvenir d’enfance à travers la figure d’un ami disparu, M. Fournets, un inventeur un peu mélancolique, assidu du café Gauthier. Le récit s’ouvre sur une scène familière, comme un prologue de roman : Fournets, « homme jeune encore, massif, plaisantant avec amertume », vient chaque jour jouer sa partie, fumant « un cigare d’un ambre à vitriol d’or », silhouette de petit bourgeois lyonnais à la fois comique et pathétique.
Béraud, qui fut chroniqueur à la naissance du Canard enchaîné avant d’obtenir le prix Goncourt en 1922 pour Le Vitriol de lune, a souvent mêlé dans ses textes la satire et la tendresse. Ici, la verve pamphlétaire cède la place à une méditation sur la curiosité, la science et le désir d’apprendre. Le petit Joseph — double transparent de l’auteur — admire M. Fournets, inventeur rêveur qui se propose, avec une naïveté touchante, de « remplacer Pasteur ». À travers cet homme ridicule et attendrissant, Béraud esquisse une parabole sur l’idéalisme scientifique et l’imagination populaire : le besoin de comprendre le monde, d’observer « les microbes, le monde invisible », et la certitude enfantine que la science sauvera l’humanité.
Mais la seconde moitié du récit se resserre sur le souvenir d’un épisode plus intime : l’enfant désire un microscope, qu’il ne peut s’offrir. Ce petit drame domestique, raconté avec la précision d’un conte, oppose deux univers : celui du rêve et celui de la raison. Le père, figure de la pudeur et de l’autorité, refuse, craignant de « gâter » son fils ou d’encourager la vanité. La mère, en cachette, intercède avec douceur. Et le texte atteint son sommet dans la scène finale, d’une émotion contenue : le père, cédant en silence, conduit l’enfant chez l’opticien de la place des Jacobins pour lui offrir l’objet tant convoité. L’épisode se clôt sur une image d’une simplicité bouleversante : « Il faisait des yeux que je n’oublierai jamais. »
En 1928, Henri Béraud est au sommet de sa gloire littéraire mais déjà contesté pour ses prises de position nationalistes. Le Canard enchaîné, lui offre une tribune où il délaisse le polémiste pour renouer avec l’observateur lucide des petites gens. Ce texte, sous son apparente modestie, dit beaucoup de la France de l’entre-deux-guerres : un pays encore partagé entre la foi religieuse et la fascination pour la science, entre la pudeur morale et le désir d’émancipation intellectuelle.
« La Gerbe d’or » — titre à la fois poétique et ironique — est bien une offrande : celle de la mémoire, du savoir, et d’un regard tendre sur les illusions perdues. Derrière la légende du journaliste sulfureux, on y découvre un Henri Béraud sentimental, presque proustien, pour qui l’enfance reste la matrice de toute vocation : celle d’écrire, d’observer et, toujours, de comprendre.





