N° 614 du Canard Enchaîné – 4 Avril 1928
N° 614 du Canard Enchaîné – 4 Avril 1928
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Du quatre ans, et sans sursis
Le cirque électoral de 1928 vu par Le Canard enchaîné et Pedro
Dans son édition du 4 avril 1928, Le Canard enchaîné ouvre ses quatre colonnes de une sur un spectacle haut en couleur : la campagne électorale transformée en cirque. Sous la plume ironique de Drégerin et le crayon incisif de Pedro, Raymond Poincaré et ses ministres paradent sous un chapiteau imaginaire. Titre du dessin : « Spectacle permanent ». Au centre, Poincaré, en directeur de piste, brandit fouet et porte-voix ; autour de lui, toute la troupe politique s’agite : Herriot en clown à pipe, Tardieu en jongleur, Painlevé en danseuse de tutu, Millerand en costume de fauve, et d’autres silhouettes familières de la Troisième République. La légende conclut : « Et, à partir de 1932, changement de programme ! ». L’édito qui l’accompagne, signé Drégerin, résume tout : quatre ans d’Union nationale… sans sursis.
Spectacle permanent – Et à partir de 1932, changement de programme, par Pedro –
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Un Poincaré en Monsieur Loyal : quatre ans de “spectacle permanent”
Nous sommes au printemps 1928. À quelques semaines des élections législatives, le président du Conseil Raymond Poincaré s’apprête à solliciter la reconduction de sa majorité. L’homme de la stabilisation du franc, revenu au pouvoir en 1926 pour « sauver » la République après les déboires financiers du Cartel des gauches, veut désormais prolonger sa cure de rigueur et d’orthodoxie budgétaire. Mais au Canard enchaîné, on n’applaudit pas à ce retour du “père la morale” : on s’en moque avec jubilation.
Dans son éditorial intitulé « Du quatre ans, et sans sursis », Drégerin s’amuse d’abord de la formule même du chef du gouvernement : quatre ans d’Union nationale, comme une peine à purger. « Olé, olé ! Tout va bien. C’est Poincaré qui l’a dit ! » raille-t-il, avant de feindre un optimisme de façade : tout va bien, le franc se porte à merveille, et la prospérité se répand « grâce à la concorde qui a déjà fait ses preuves ». L’ironie est transparente : loin d’être une renaissance, cette Union nationale n’est qu’un numéro de cirque de plus — le prolongement d’un pouvoir usé, où chacun reprend son rôle convenu.
Le dessin de Pedro illustre ce « spectacle permanent » avec une verve acide. La politique devient une piste de cirque : Poincaré dirige la parade, Tardieu jongle avec les réformes, Herriot grimace sous son nez rouge, Painlevé danse maladroitement en tutu, tandis que Millerand parade en costume de fauve domestiqué. À l’arrière-plan, un trapéziste et un souffleur complètent cette ménagerie parlementaire où chacun joue sa partition sous le regard du public électoral. Pedro, dans la tradition graphique du Canard, croque le théâtre du pouvoir avec un humour qui frôle l’absurde : une République-cirque, dont le numéro principal n’a jamais changé.
Historiquement, cet éditorial s’inscrit dans un moment de transition : les législatives d’avril 1928 marquent la fin du Cartel des gauches et le triomphe du Bloc national reconstitué. Mais au-delà des blocs, Le Canard dénonce la continuité d’un système où les promesses se recyclent et les visages se succèdent sans renouveler la politique. La conclusion de Drégerin, faussement enthousiaste, est implacable : « Quatre ans ! C’est alors que l’Union nationale va pouvoir enfin donner toute sa mesure. Il était que temps. » Le trait d’esprit masque à peine la lassitude d’une génération de satiristes face à la comédie parlementaire.
Le clin d’œil final de Pedro, « Et, à partir de 1932, changement de programme ! », agit comme un avertissement prémonitoire. La Troisième République vit en boucle son éternel spectacle : les mêmes acteurs, les mêmes promesses, les mêmes illusions. En 1928, le Canard enchaîné en fait déjà la chronique. Quatre ans plus tard, le spectacle continuera, mais la salle, elle, commencera à se vider.

      



