N° 629 du Canard Enchaîné – 18 Juillet 1928
N° 629 du Canard Enchaîné – 18 Juillet 1928
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Maréchaux et Berbères : les mirages de la « France pacifiée »
Quand Le Canard enchaîné s’amuse du colonialisme triomphant et du culte des statues
Le 18 juillet 1928, Le Canard enchaîné juxtapose deux gloires de la République : d’un côté, « l’enthousiasme des Berbères » pour les troupes françaises, de l’autre, la jalousie du maréchal Joffre devant la statue de Foch. Sous la légèreté apparente, le journal dresse le portrait d’une France qui se console dans la pierre et s’illusionne sur ses conquêtes. Entre propagande coloniale et vanité militaire, Le Canard démonte, par le rire, les certitudes de l’entre-deux-guerres.
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Dans l’édition du 18 juillet 1928, Le Canard enchaîné sert, en une seule page, une leçon d’histoire en deux actes. D’un côté, un billet d’agence intitulé « L’enthousiasme des Berbères pour les troupes françaises » chante la gloire d’un Maroc « pacifié » ; de l’autre, une chronique intitulée « Chacun son tour » raille la vanité des maréchaux, Foch et Joffre en tête, prompts à inaugurer leurs propres statues. Deux registres, deux tons — mais un même fil conducteur : la critique d’une République qui, en 1928, se félicite de ses exploits tout en tournant le dos à leurs conséquences.
Le premier texte, pastiche volontairement docile du style des communiqués coloniaux, pousse l’ironie à peine voilée. Le correspondant de Rabat décrit avec un enthousiasme mécanique la « joie » des tribus berbères de Sefrou, « satisfaites d’avoir enfin été visitées par les troupes régulières françaises ». Le vocabulaire de la domination se dissimule sous celui de la politesse diplomatique : « visite de courtoisie », « accueil chaleureux », « adieux déchirants ». La réalité est tout autre : il s’agit d’une opération militaire, précédée d’« avions de bombardement » et de « tanks », destinée à asseoir l’autorité du protectorat dans les montagnes du Moyen-Atlas.
En 1928, la « pacification du Maroc » touche à sa fin : après la reddition d’Abd el-Krim en 1926, la France célèbre la consolidation de son empire. Mais Le Canard s’amuse du double langage colonial, où les obus deviennent « marques d’amitié » et les soumissions des « promesses de retour ». Le comique naît du contraste entre la prose administrative et l’absurdité de la situation : « nos pertes, au cours de ces journées, ont été extrêmement légères », précise-t-on, comme si la guerre pouvait être polie.
Juste à côté, le ton change — ou plutôt, se déplace du champ colonial au champ symbolique. Dans « Chacun son tour », Le Canard prolonge sa charge contre la manie française de l’auto-célébration. Après la statue du maréchal Foch à Cassel, voici Joffre jaloux : « Et moi alors ? », se lamente-t-il dans une parodie d’enfant boudeur. Le journal imagine déjà la solution : une statue couchée, le représentant dormant « à poings fermés » sur un lit de camp. « Ce sera ronflant de vérité. »
Sous la plaisanterie, un constat plus profond : dix ans après la fin de la Grande Guerre, la France s’endort sur ses gloires militaires. On érige des monuments comme on érige des mythes — pour ne pas voir le monde bouger, que ce soit en Europe ou dans les colonies.
Ainsi, en quelques colonnes, Le Canard enchaîné dresse un autoportrait grinçant de la France de 1928 : conquérante à l’extérieur, figée à l’intérieur. D’un côté, elle exporte sa « paix » à coups de canons ; de l’autre, elle se couvre de marbre pour honorer des chefs déjà transformés en statues vivantes.
Entre les Berbères « enthousiastes » et le maréchal Joffre « ronflant », la République semble respirer au rythme de son propre comique involontaire. Mais grâce à Le Canard, le rire veille encore.





