N° 631 du Canard Enchaîné – 1 Août 1928
N° 631 du Canard Enchaîné – 1 Août 1928
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Quand les ministres retournaient en culottes courtes
Les souvenirs d’enfance revisités par J. A. Moret dans Le Canard enchaîné du 1ᵉʳ août 1928
Dans l’édition du 1ᵉʳ août 1928, J. A. Moret s’amuse à « humaniser » les ministres du moment en leur prêtant d’innocentes anecdotes d’enfance. Herriot, Painlevé, Barthou, Poincaré ou Bokanowski se confessent à demi — ou plutôt, se laissent caricaturer avec tendresse et ironie. Sous le ton léger, Le Canard enchaîné tourne en dérision l’obsession médiatique pour la respectabilité des élites, rappelant qu’avant d’être des « grands hommes », ils furent tous de petits malins, frondeurs ou opportunistes.
En Rhénanie, dessin de Henri Monier.
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À la faveur d’un été politique calme, Le Canard enchaîné du 1ᵉʳ août 1928 offre à ses lecteurs un divertissement satirique : « Quelques charmantes anecdotes sur l’enfance de nos ministres », signé J. A. Moret. Sous le prétexte badin d’un portrait collectif, l’auteur croque la classe dirigeante de la IIIᵉ République avec l’ironie douce-amère qui fait la marque du Canard.
Le texte s’ouvre sur Édouard Herriot, présenté en écolier trop malin, corrigeant son professeur : « Nous avons fait un mauvais devoir, nous ferons cent lignes » — « Je n’en ai fait que la moitié ! ». Cette impertinence juvénile annonce, écrit Moret, son avenir à l’Instruction publique : une manière élégante de rappeler que la science républicaine commence souvent par la ruse.
Viennent ensuite Louis Barthou, Raymond Poincaré et Paul Painlevé, chacun affublé d’un trait qui, sous couvert d’anecdote, condense tout un tempérament politique. Barthou se souvient de sa « première fessée » avec attendrissement : le futur garde des Sceaux était déjà, enfant, un orateur en herbe, multipliant les taquineries « pour être corrigé souvent ». Poincaré, pour sa part, se révèle d’une raideur comique : prié de sourire à sa première communion, il s’indigne — « Mon sang ne fit qu’un tour » ! — et assène un coup de pied au photographe. De là à le décrire, adulte, en président rigide et grincheux, il n’y a qu’un pas que Moret franchit en silence.
Mais c’est Painlevé qui hérite de la plus cocasse des confessions : une fugue « pour acheter du cognac au marchand du coin »… dont il ne revient que quatre jours plus tard. L’ancien mathématicien et chef du gouvernement, décrit ici en adolescent distrait, devient la figure d’un savant lunaire — plus apte à perdre la République qu’à diriger un ministère.
L’article s’achève sur une perle de malice : Maurice Bokanowski, ministre du Commerce, se remémore sa jeunesse à Toulon, où il gagnait deux sous en surveillant les lignes de pêche des autres… avant d’en faire surveiller d’autres par des camarades qu’il payait un sou. « Ainsi, sans rien faire, je touchais de l’argent des deux côtés ! » conclut-il fièrement. Moret feint d’admirer ce « débrouillard », avant de piquer : « Le ministre ne me demandait-il pas une commission sur le prix de cet article ? ». Le trait est irrésistible : l’enfance devient la matrice du carriérisme.
Derrière l’humour, le Canard livre une satire en creux de la politique bourgeoise de la fin des années 1920. À l’heure où la Chambre s’empêtre dans la « stabilisation » du franc et les débats budgétaires, Moret renvoie les ministres à leurs manies d’écoliers : tricher pour Herriot, se rengorger pour Poincaré, faire commerce de tout pour Bokanowski. Ces « charmantes anecdotes » sont autant de miroirs déformants d’une classe au pouvoir depuis trop longtemps, qu’on réduit ici à sa dimension la plus candide — et la plus ridicule.
Loin du pamphlet, Moret manie la malice plus que la colère : il rit du sérieux de la République, non de ses institutions. Son humour d’été rappelle que Le Canard enchaîné excelle aussi dans la chronique légère, celle qui, sous les dehors anodins, en dit long sur le tempérament d’une époque. Les ministres y sont des enfants qui n’ont jamais vraiment grandi : la morale est douce, mais implacable.

 
      



