N° 636 du Canard Enchaîné – 5 Septembre 1928
N° 636 du Canard Enchaîné – 5 Septembre 1928
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Quand le Soleil s’éteint… et la presse s’enflamme
Roger Salardenne, “La fin de l’univers ?”, Le Canard enchaîné, 5 septembre 1928
Le 5 septembre 1928, Le Canard enchaîné se paie un bel éclat cosmique. Dans “La fin de l’univers ?”, Roger Salardenne tourne en ridicule une “révélation” du Matin affirmant que le Soleil pourrait s’éteindre d’un jour à l’autre. Faux scoop, vraie satire : derrière le gag astronomique, Le Canard vise la presse à sensation qui préfère les frissons à la raison. Et prouve, une fois de plus, qu’à l’ère des nouvelles alarmistes, rien ne vaut une bonne rasade d’ironie pour rallumer la lumière.
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En cette fin d’été 1928, l’humanité n’a pas encore la radio en continu ni les réseaux sociaux — mais elle a Le Matin. Et Le Matin, sous la plume du chroniqueur scientifique Charles Nordmann, vient de jeter un pavé solaire dans la mare : le Soleil, affirme-t-il, “peut s’éteindre d’un moment à l’autre”. L’apocalypse n’attendrait ni la prochaine éclipse ni la prochaine guerre, mais une simple panne d’astre.
Une semaine plus tard, Roger Salardenne en fait les gorges chaudes à la une du Canard enchaîné. Sous le titre “La fin de l’univers ? Si c’était vrai ?”, il transforme la panique cosmique en numéro d’équilibriste journalistique, où chaque phrase fait mouche. L’article repose sur un dispositif typique du Canard des années 1920 : la fausse interview et le dialogue absurde.
Le texte s’ouvre sur un ton de gravité feinte : “M. Charles Nordmann […] nous a révélé que le soleil peut s’éteindre d’un moment à l’autre…” Suit un crescendo d’angoisse où Salardenne s’amuse à raisonner comme un chroniqueur apeuré : s’il n’y a plus de soleil, plus de charbon ni de pétrole pour le remplacer ! “Quant à le rallumer, il n’y faut pas songer.” Le trait est si appuyé qu’on entend déjà le rire derrière la plume.
Puis viennent les réactions en chaîne, un chœur burlesque des habitués du Canard :
– Jules Rivet dédramatise : “Il nous restera toujours la lune !”
– Painlevé, savant et ministre, suggère de “l’allumer au gaz”.
– Maginot hausse les épaules : “Je n’ai pas besoin de soleil, puisque j’y vais la nuit.”
– Chiappe, préfet de police, trouve l’explication : “C’est encore un coup de Moscou, il faut arrêter un communiste !”
En une galerie de caricatures, Salardenne croque toute la classe politique et médiatique de la Troisième République : sceptiques, opportunistes, paranoïaques ou bavards, tous réagissent à la “crise solaire” comme ils réagiraient à n’importe quelle rumeur de cabinet.
Le final renverse la situation : le journaliste retourne voir Nordmann pour en savoir plus. Et celui-ci, penaud, avoue qu’il n’y croyait pas lui-même — “Sapène m’avait demandé un article sensationnel pour combler un vide de sa première page”. En clair, l’“extinction du soleil” n’était qu’un bouche-trou éditorial. La satire s’achève donc sur une double mise en abyme : la peur collective et le vide médiatique ont la même origine, une colonne à remplir.
Historiquement, cet article s’inscrit dans une époque où la presse française rivalise d’exagération pour attirer le lecteur : pseudo-miracles, catastrophes improbables, prophéties d’astronomes de salon… Le Canard, fidèle à son rôle de trublion, dénonce cette dérive en s’en moquant depuis l’intérieur du mécanisme.
Salardenne signe ici un petit chef-d’œuvre de satire médiatique : il s’empare d’un fait scientifique déformé, le pousse jusqu’à l’absurde, et en tire une leçon universelle. En 1928 comme aujourd’hui, quand un titre crie à la fin du monde, le mieux est encore d’en rire. Parce qu’au Canard, le soleil ne s’éteint jamais — il brille à l’encre noire.





