N° 637 du Canard Enchaîné – 12 Septembre 1928
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Poincaré, l’Alsace et les cigognes : satire en terre reconquise
Roger Salardenne, “M. Poincaré a inauguré l’exposition de Strasbourg”, Le Canard enchaîné, 12 septembre 1928
Le 12 septembre 1928, Le Canard enchaîné envoie Roger Salardenne couvrir la visite triomphale de Raymond Poincaré à Strasbourg. Mais le “reportage” tourne à la parodie. Derrière la pompe républicaine, Salardenne débusque le chauvinisme niais, les illusions coloniales et la lourdeur du nationalisme d’après-guerre. Entre cigognes en papier mâché et “bon goût français”, le président du Conseil devient guide touristique d’une Alsace “embellie” à coups de monuments et de discours. Une chronique grinçante de la France sûre d’elle-même, mais aveugle à son propre ridicule.
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Sous le titre solennel “M. Poincaré a inauguré l’exposition de Strasbourg”, Le Canard enchaîné du 12 septembre 1928 offre à son lecteur un pastiche désopilant du reportage patriotique. Son auteur, Roger Salardenne, s’y livre à une démonstration d’humour acide sur la propagande nationale et la comédie des inaugurations officielles dans l’entre-deux-guerres.
La scène se situe à Strasbourg, symbole chargé depuis le retour de l’Alsace à la France en 1918. Raymond Poincaré, président du Conseil, y vient présider la troisième “foire-exposition” de la ville. La presse traditionnelle célèbre alors son “populaire” chef de gouvernement ; Le Canard, lui, détourne le ton même du journalisme officiel. Dès les premières lignes, le ton est donné : “La cérémonie a eu lieu par un temps magnifique et ce seul détail prouve combien notre Président du Conseil est populaire en Alsace.” Le soleil devient signe de popularité : une trouvaille d’une logique absurde, qui ridiculise les automatismes de la presse d’allégeance.
Salardenne enchaîne avec un florilège de formules qui feignent le sérieux administratif : “Le bon goût français […] a transformé la physionomie de Strasbourg.” L’auteur raille ce patriotisme urbanistique qui prétend “embellir” la ville en effaçant les traces de son passé allemand. Ainsi, raconte-t-il, on a érigé un monument à Pasteur devant l’Université “pour boucher cette affreuse perspective” d’origine prussienne. Derrière la blague, un constat : la “refrancisation” de l’Alsace passe autant par le plâtre que par la propagande.
Chaque paragraphe pousse le burlesque un peu plus loin. L’obsession linguistique, d’abord : Poincaré “a noté avec satisfaction que les Strasbourgeois […] se sont mis très rapidement à la langue française”, preuve en serait les enseignes trilingues “English spoken / Se fala português / On parle français”. Le symbole de la cigogne, ensuite, dont les versions en papier mâché “se sont vendues comme jamais” : l’industrie patriotique bat son plein. Quant aux acclamations de la foule, Salardenne note qu’elles viennent surtout “de touristes de passage”, mais que “c’est un beau résultat tout de même !”.
Le portrait de Poincaré, lui, se conclut sur une fausse citation d’anthologie : après avoir exalté “le rayonnement et la souveraineté de la France immortelle, une et indivisible”, le président “s’est hâté de repartir” — car “l’enthousiasme des populations est parfois dangereux”. Tout le grotesque du nationalisme de l’époque tient dans cette chute : un chef glorifié pour une ferveur qu’il redoute.
Historiquement, cette visite de 1928 s’inscrit dans une période où la Troisième République cherche à consolider le sentiment d’appartenance de l’Alsace, dix ans après sa “libération”. Mais le Canard enchaîné, fidèle à son antimilitarisme et à son humour anticlérical, renverse la scène en farce bureaucratique : la ferveur nationale s’y réduit à une vitrine d’exposition, à un folklore de cartes postales et de discours creux.
Dans une France qui, après le pacte Kellogg, se berce encore d’illusions sur la paix et la grandeur, Salardenne rappelle que l’autosatisfaction républicaine vaut souvent mieux qu’un bon gag.
Et à Strasbourg, cette semaine-là, la seule chose vraiment brillante — c’était le soleil.





