N° 654 du Canard Enchaîné – 9 Janvier 1929
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« Au fond, Mme Hanau est une victime » – Quand le Canard retourne la morale financière
J.-A. Moret, Le Canard enchaîné, 9 janvier 1929
Le 9 janvier 1929, Le Canard enchaîné poursuit sa série satirique sur l’affaire de la Gazette du Franc. Sous la plume de J.-A. Moret, Marthe Hanau, l’escroc la plus célèbre de la Troisième République, devient… une « victime » — voire une « bienfaitrice » ! Derrière ce renversement ironique, le Canard démonte le double jeu d’une société où les corrupteurs crient à la corruption, et où les politiciens indignés sont souvent ceux qui ont encaissé les chèques. À la suite, un bref « Dîner mensuel » fictif parachève la farce : les escrocs trinquent, mais pas à leur perte.
La grande panique, dessin de Henri Monier.
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À la une du 9 janvier 1929, Le Canard enchaîné offre une nouvelle variation sur l’affaire Hanau, dont il a fait, depuis des mois, le feuilleton moral de la Troisième République. L’article signé J.-A. Moret s’intitule avec un humour provocateur : « Au fond, Mme Hanau est une victime. »
Tout est dans le « au fond ». Le texte pastiche les plaidoyers de mauvaise foi que la presse bourgeoise, et parfois même certains magistrats, opposaient à la mise en cause des puissants. En quelques paragraphes, Le Canard retourne la défense des escrocs contre leurs défenseurs : plus Marthe Hanau est coupable, plus elle apparaît, ironiquement, comme victime d’un système qu’elle n’a fait qu’imiter.
« Mme Hanau a, tout d’abord, été accusée d’avoir escroqué des tas de gens. Maintenant, on lui reproche d’avoir donné de l’argent à tout le monde. »
Cette inversion résume tout l’esprit du papier : si Marthe Hanau a corrompu journalistes et parlementaires, c’est qu’ils étaient corruptibles. Si elle a financé des journaux, c’est que la presse vendait volontiers sa plume. Si elle a “distribué des millions en veux-tu en voilà”, c’est que la République des décorations et des combines fonctionnait déjà sur cette base. Le scandale Hanau n’est donc pas un accident : c’est le miroir grotesque de la morale publique.
Le texte raille au passage le juge Glard, chargé de l’instruction, décrit comme naïf ou pusillanime — un thème récurrent dans le Canard de la période, qui soupçonne la justice de s’acharner sur l’escroc visible pour épargner les profiteurs invisibles :
« Si j’étais M. Glard, je perdrais patience… et, au lieu de rechercher à qui Mme Hanau a donné de l’argent, j’essaierais de savoir, pour en finir, à qui elle n’en a pas donné ! »
Derrière la plaisanterie, une dénonciation acérée : dans la France de 1929, l’argent circule moins pour produire que pour acheter silence et influence.
La deuxième moitié du texte pousse le paradoxe jusqu’à l’absurde : Hanau est “bienfaitrice”, car l’actif de sa faillite suffirait à rembourser les souscripteurs. Quant aux suicides des épargnants ruinés, ils ne relèvent pas, dit ironiquement Moret, de la responsabilité de l’escroc mais de celle du juge “qui aggrave les conséquences de son information prématurée”. La justice, une fois encore, devient plus coupable que le crime.
À la suite, le court billet intitulé « Le dîner mensuel de la Gazette du Franc » parachève la charge. Dans ce “compte rendu” fictif, le Canard imagine les protagonistes de la fraude — Marthe Hanau, M. Bloch, Courville, Amard — se réunissant gaiement “42, rue de la Santé”, autrement dit à la prison du même nom. Le lieu dit tout : les convives de ce “dîner mensuel” n’ont plus pour table que celle de la justice.
Ce double texte — Mise au point et Dîner mensuel — incarne parfaitement la veine ironique du Canard de l’entre-deux-guerres : un mélange de faux sérieux, de parodie journalistique et de critique sociale. En janvier 1929, tandis que le procès Hanau s’enlise et que la presse parisienne tente d’en effacer les traces, Le Canard enchaîné refuse la résignation et transforme la chronique judiciaire en fable morale.
Ici, la satire prend le ton du constat : la France s’indigne d’une escroquerie privée pour mieux oublier la corruption publique. Marthe Hanau a beau être derrière les barreaux, ses mécènes, eux, sont toujours à table.

      



