N° 660 du Canard Enchaîné – 20 Février 1929
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« Le froid à son tour est stabilisé » – Quand le Canard congèle la rhétorique de Poincaré
Le Canard enchaîné, 20 février 1929
Février 1929 : la France grelotte, mais Le Canard enchaîné se réchauffe à la satire. Sous le titre « Le froid à son tour est stabilisé », le journal transforme la vague de gel en triomphe fictif du gouvernement Poincaré, célébré pour sa “politique de confiance”. Après avoir “stabilisé le franc”, voilà qu’il aurait “stabilisé le froid” ! Ce pastiche enjoué des communiqués ministériels ridiculise l’autosatisfaction du pouvoir, tout en moquant le culte de la “stabilité” économique et politique — valeur fétiche d’une République engourdie.
Le point de vue de l’Esquimau, dessin de Grove – Le grand hiver de 1929, dessin de Paul Ferjac –
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L’hiver 1929 fut l’un des plus rudes du siècle : la Seine gela, les trains s’immobilisèrent, et les journaux ne parlaient que de “froid polaire”. Mais pour Le Canard enchaîné du 20 février 1929, l’événement est l’occasion rêvée de se moquer du ton solennel et triomphal du gouvernement Poincaré. Sous le titre « Le froid à son tour est stabilisé », l’article parodie la langue officielle des communiqués ministériels et des éditoriaux de la presse conservatrice.
Le texte s’ouvre sur une tirade dithyrambique :
« Nous n’avons point l’habitude de marchander nos éloges au gouvernement lorsque, arborant fièrement le drapeau de la confiance et la bannière de la concorde, il poursuit indéfectiblement sa marche puissante… »
Le pastiche est immédiatement transparent : Le Canard imite la prose ampoulée du Temps ou de la Revue des Deux Mondes, où chaque geste du président du Conseil Raymond Poincaré est décrit comme une victoire de la raison et de la patrie.
En 1928, Poincaré avait en effet restauré la stabilité du franc après des années d’inflation — un exploit monétaire qui fit de lui le champion du “redressement national”. L’article transpose ce succès économique dans un registre absurde : après avoir “stabilisé le franc”, le chef du gouvernement aurait “stabilisé le froid”.
« Le froid français s’immobilisait, vaincu, au garde à vous. À zéro degré. Pas un de plus, pas un de moins. »
L’ironie est d’autant plus mordante que, pendant que la presse conservatrice glorifie la “main ferme” du président du Conseil, le pays souffre d’une misère réelle : pauvreté, chômage et disette énergétique aggravent les effets du froid.
Le Canard pousse la moquerie jusqu’à évoquer une conspiration climatique : “la main de l’Allemagne et l’œil de Moscou”, allusion sarcastique aux obsessions diplomatiques de la droite, toujours prête à voir derrière chaque désordre — même météorologique — la main de l’étranger.
La satire touche donc à la fois le chauvinisme, le conservatisme et la servilité médiatique.
Puis vient la pique politique :
« Après avoir stabilisé le franc et le froid, M. Poincaré va maintenant s’occuper de stabiliser un tas d’autres trucs… Sa majorité, par exemple, et la tension artérielle de M. Louis Barthou. »
Derrière la blague, un constat lucide : la coalition gouvernementale, déjà fracturée, s’effrite malgré la réussite financière de Poincaré. Quelques semaines plus tard, ce dernier tombera malade et quittera la vie politique active, laissant place à un vide que Le Canard pressent ici avec une ironie prophétique.
Enfin, la chute — “nous levons notre verre à la hauteur des vues de M. Bonnefous” — ajoute une dernière couche d’ironie. Pierre-Étienne Flandin, Georges Bonnefous et leurs pairs, représentants de la bourgeoisie parlementaire, sont caricaturés en notables satisfaits, trinquant à la stabilité du froid comme à celle de leurs portefeuilles.
Sous son apparente légèreté, l’article offre une leçon de satire politique à la manière du Canard des années 1920 : transformer la rhétorique gouvernementale en absurdité littérale. Le “froid stabilisé” devient le symbole d’une République figée, où le calme vaut mieux que la justice sociale, et où l’immobilité tient lieu de gouvernance.
Ainsi, derrière la plaisanterie climatique, Le Canard enchaîné signe un pamphlet glacial : la stabilité du froid n’est que le miroir ironique d’une France qui se réchauffe au feu tiède de sa propre autosatisfaction.





