N° 677 du Canard Enchaîné – 19 Juin 1929
N° 677 du Canard Enchaîné – 19 Juin 1929
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“À l’Ouest, rien de nouveau” : quand Pierre Scize salue la vérité nue de la guerre
Le Canard enchaîné, 19 juin 1929
En juin 1929, Le Canard enchaîné publie en une un texte bouleversant de Pierre Scize. Le chroniqueur s’y livre à un éloge incandescent du roman d’Erich Maria Remarque, À l’Ouest, rien de nouveau, qu’il découvre bouleversé “jusque dans le sommeil”. Loin du sarcasme habituel du Canard, Scize écrit ici avec la gravité d’un témoin. Il y voit non pas un livre allemand, mais la voix universelle des morts, celle des jeunes fauchés par la guerre de 14. Son article, rare moment d’émotion pure dans le journal satirique, fait du roman de Remarque un cri pacifiste avant l’heure, une prière contre le retour des massacres.
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Le 19 juin 1929, Le Canard enchaîné publie à la une un texte qui détonne dans ses colonnes : « Pour un livre », signé Pierre Scize. On y retrouve moins le pamphlétaire que l’homme bouleversé, saisi par un choc littéraire et moral : la lecture du roman d’Erich Maria Remarque, Im Westen nichts Neues (À l’Ouest, rien de nouveau), paru en Allemagne quelques mois plus tôt et déjà phénomène mondial.
Un livre venu “de l’autre côté”
Le roman de Remarque, récit à la première personne d’un jeune soldat allemand pris dans l’absurdité du front, vient d’être traduit en français. Scize s’en empare avec méfiance — “un livre allemand sur la guerre ?” — avant de se laisser happer par sa vérité nue. Dès les premières lignes de sa chronique, il en décrit l’effet : une lecture fiévreuse, une nuit sans sommeil, une conviction nouvelle que la guerre, partout, n’a qu’un visage.
Il résume en une formule terrible ce qu’il a lu :
“C’était la guerre à l’état pur, non pas ces versions édulcorées par le temps… mais la vérité, la couleur exacte de vos permissions là-bas, ce qui pour la dernière fois devait s’inscrire dans la conscience des hommes foudroyés.”
Pour Scize, le roman de Remarque ne parle pas “comme un Allemand”, mais comme un homme. Les souffrances décrites, les cadavres, la peur, la saleté, la fraternité tragique : tout cela dépasse les nations. Il rend hommage à cet “Allemand inconnu” qui a su écrire ce que Dorgelès, Barbusse ou Giono ont tenté de dire chacun à leur manière : la “merde de la guerre”, son absurdité totale, son abjection partagée.
Un cri universel et pacifiste
Ce qui frappe dans l’article, c’est la ferveur presque mystique avec laquelle Scize s’adresse à ses lecteurs. Il leur parle directement :
“Vous allez lire ce livre, n’est-ce pas, mes amis inconnus du Canard ?”
Rarement le Canard enchaîné s’est adressé ainsi à son public, non pour rire, mais pour témoigner. Scize exhorte : “Lisez ! Lisez vite !” Et il rêve que le roman soit lu à haute voix dans les villes, dans les écoles, comme un antidote à la propagande militariste qui déjà renaît. Nous sommes en 1929 : dix ans après l’Armistice, la société française, tout en honorant ses morts, commence à oublier. Le nationalisme se ravive, l’extrême droite regagne du terrain, les anciens combattants s’enferment dans le ressentiment. Le roman de Remarque, lui, ravive la plaie pour qu’on n’en refasse pas une cicatrice décorative.
Le Canard, témoin de l’après-guerre
La publication d’un tel texte dans Le Canard enchaîné est en soi un événement. Depuis sa fondation en 1915, le journal se nourrit d’ironie et de satire antimilitariste, mais rarement il a laissé place à une émotion aussi nue. En relayant l’œuvre de Remarque, il fait écho à son propre héritage de guerre : celui des rédacteurs comme Vaillant-Couturier ou Dorgelès, tous rescapés de 14-18, tous hantés par les tranchées.
Scize, en quelque sorte, leur rend la parole : il célèbre un roman allemand comme un livre français de cœur, un livre d’Europe.
“Ces notes, écrit-il, pouvaient tout aussi bien être recueillies sur les lèvres de tous ceux qui portèrent l’uniforme là-bas, dans toutes les armées d’Europe.”
Une leçon d’humanité avant l’orage
L’article s’achève sur un vœu presque religieux : que ce livre soit lu partout, dans les écoles, dans les places, comme un serment collectif. Et sur une phrase simple, poignante :
“Comme je vous envie d’avoir encore la joie de cette découverte.”
En 1929, Pierre Scize ne pouvait deviner que quelques années plus tard, l’Allemagne replongerait dans la haine, que le roman serait brûlé en place publique à Berlin, et que d’autres “rien de nouveau” couvriraient bientôt l’Europe.
Mais en ce jour de juin, Le Canard enchaîné rend hommage à un livre universel, et prouve qu’entre deux éclats de rire, il sait aussi pleurer.
Une page de feu et de cendres : Pierre Scize, l’homme qui fit pleurer Le Canard.





