N° 678 du Canard Enchaîné – 26 Juin 1929
N° 678 du Canard Enchaîné – 26 Juin 1929
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La dette et la gloire : Drégerin ferraille avec le patriotisme financier de Poincaré
Le Canard enchaîné, 26 juin 1929
En juin 1929, Le Canard enchaîné tourne en dérision la solennité du discours politique sur la “dette de guerre”. Dans « La volonté de la France demeure inébranlable », Drégerin pastiche le style officiel pour ridiculiser la rhétorique de Raymond Poincaré, alors engagé dans la ratification du plan Mellon-Bérenger sur le remboursement de la dette française aux États-Unis. Sous des allures de patriotisme intrépide, Le Canard démasque une comédie financière : celle d’une France qui proclame sa fermeté en promettant… de payer “jusqu’à sa mort”.
Nos dettes ? Sans blague ! par Pierre Scize
Scize s’insurge contre la comptabilité impitoyable de l’Amérique, vis à vis d’une France sortie exsangue des années de guerre avec un franc qui s’effondre et une inflation galopante. On lui réclame de rembourser jusqu’aux boutons de culotte des Sammies engagés sur le front, y compris des intérêts bien calculés. Bien finis les idéaux de liberté et de solidarité yankee vis à vis de la France, les affaires reprennent les droits qu’ils n’ont jamais perdus.
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À la une du Canard enchaîné du 26 juin 1929, l’article de Drégerin, « La volonté de la France demeure inébranlable », illustre à la perfection la veine parodique du journal satirique dans sa critique de la politique extérieure et financière de la fin des années 1920. Sous couvert de célébrer “le sang-froid de l’opinion française” et la “résolution mâle” du gouvernement, le texte dynamite en réalité la posture de grandeur adoptée par Raymond Poincaré face à la question de la dette interalliée.
Une France “inflexible”… jusqu’à l’absurde
Depuis 1919, la France traîne une dette colossale contractée auprès des États-Unis pour financer son effort de guerre. Après des années de négociations, le plan Mellon-Bérenger (1926-29) fixe le montant et l’échelonnement du remboursement : 62 annuités. C’est ce chiffre que Drégerin tourne en dérision, imaginant une France héroïque promettant de “devoir toute sa vie” à ses alliés tout en se targuant de ne rien céder.
L’article débute sur le ton emphatique des communiqués ministériels :
“C’est avec un magnifique sang-froid que l’opinion française a vu se lever l’aurore de cette semaine décisive...”
La solennité, la syntaxe martiale, la fausse gravité – tout respire la langue de bois des journaux gouvernementaux. Mais Le Canard fait immédiatement basculer la phrase dans l’ironie : ce qui est censé être un moment “historique” n’est qu’un nouvel épisode du feuilleton de la dette, où la France, sous Poincaré, feint la fermeté pour mieux capituler dans les formes.
Drégerin raille cette “mâle vigilance” et cette “inébranlable résolution” qui consiste, en réalité, à s’incliner avec dignité :
“Plutôt que de contester à l’Amérique ou à l’Angleterre un seul cent ou un seul penny… nous aimerions mieux leur devoir toute notre vie.”
Le trait est d’une ironie parfaite : la “volonté inébranlable” se traduit ici par une docilité éternelle.
Satire du verbe politique
Le texte repose sur un procédé cher au Canard : le pastiche du style officiel. Les formules ampoulées, les envolées pseudo-patriotiques et les répétitions martiales (“vigilance”, “résolution”, “fermeté”) sont poussées jusqu’au ridicule. Drégerin fait parler un narrateur collectif – “nous” – qui adopte avec componction le ton de la presse gouvernementale pour mieux souligner son vide.
À travers ce double langage, Le Canard dénonce le mensonge de façade du patriotisme financier : la France se drape dans sa dignité pour cacher une soumission économique. Poincaré, chef du gouvernement et ministre des Finances, apparaît ici comme l’archétype du technocrate conservateur, habile à présenter l’endettement comme un acte de bravoure.
Le passage sur les “soixante-deux annuités” condense tout le sarcasme du texte :
“Jugez un peu si M. Poincaré aura le temps, d’ici là, de désannexer d’autres départements et d’occuper invisiblement d’autres charbonnages ennemis !”
En feignant de louer sa ténacité, Drégerin le ridiculise : un patriote si opiniâtre qu’il ne cessera de payer pour prouver sa grandeur.
De la satire politique à la satire sociale
Au-delà du seul Poincaré, Le Canard vise aussi l’hypocrisie de la presse bourgeoise et de l’Assemblée, qui parlent “d’honneur national” tout en s’accommodant d’une dépendance financière vis-à-vis de l’Amérique. La formule finale, faussement solennelle –
“À bon entendeur, salut.” –
clôt l’article comme un coup de sifflet de clown dans un défilé militaire.
En 1929, le contexte international justifie le mordant du Canard. Tandis que la prospérité factice de l’après-guerre s’effrite (la crise de Wall Street éclatera quelques mois plus tard), la France, arc-boutée sur sa “politique de fermeté”, multiplie les discours grandiloquents pour masquer son affaiblissement économique et diplomatique.
Drégerin, fidèle à la tradition antimilitariste et antinationaliste du journal, fait ici œuvre de lucidité satirique : derrière le drapeau et les fanfares, la “volonté de la France” n’est qu’un écho creux — celui d’un pays endetté qui confond l’orgueil et la résignation.
“Soixante-deux ans d’honneur à crédit” : sous la plume de Drégerin, la fermeté française devient un gag budgétaire.





