N° 697 du Canard Enchaîné – 6 Novembre 1929
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6 novembre 1929 : le “parti des honnêtes gens” au pouvoir, vraiment ?
Sous la plume ironique de Drégerin, Le Canard enchaîné salue à sa manière la formation du gouvernement André Tardieu, successeur de Poincaré. Derrière les “Vive le Frick !” et les “Vive la Haute Banque !”, c’est toute une satire du conservatisme triomphant qui se déploie. En cette première semaine de novembre 1929, tandis que le monde entre en crise, le Canard dresse le portrait d’une République bourgeoise qui se félicite d’être gouvernée par “les honnêtes gens” — autrement dit, par les mêmes.
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6 novembre 1929 : Drégerin fête à sa manière le “parti des honnêtes gens”
La Une du Canard enchaîné du 6 novembre 1929 respire la jubilation — mais c’est une jubilation à l’acide. Sous le titre « Le parti des honnêtes gens est enfin au pouvoir », la plume incisive de Drégerin se livre à une célébration parodique de la nomination d’André Tardieu à la tête du gouvernement.
Le ton, faussement enthousiaste, annonce d’emblée la couleur : “Bien que nous ayons eu trois jours pleins pour savourer notre victoire, les mots nous manquent encore à l’heure actuelle…” La victoire dont il est question, bien sûr, n’est pas celle du peuple, mais celle du conformisme et de la bonne conscience bourgeoise. Le Canard fait mine de se réjouir du triomphe du “parti des honnêtes gens”, tout en montrant combien cette honnêteté proclamée cache le retour en force des milieux d’affaires, de la droite parlementaire et de la France catholique et conservatrice.
Car le nouveau cabinet Tardieu, formé après la démission de Poincaré pour raisons de santé, symbolise la continuité du pouvoir des élites de la IIIᵉ République. Ancien journaliste au Temps, proche de Clemenceau, Tardieu s’est reconverti en technicien de gouvernement. Son équipe mêle des “honnêtes gens” expérimentés — Louis Germain-Martin, Paul Reynaud, Pierre Laval — à quelques nouveaux venus présentés comme des “hommes d’action” par la presse de droite. Pour Le Canard, c’est le signal que le pays s’apprête à entrer dans une ère de réformes d’apparat, où le pragmatisme sert surtout à préserver les intérêts établis.
Le style de Drégerin, plein d’hyperboles comiques et de slogans inventés (“Vive le Frick !”, “À bas tout ce qui ne spécule pas !”), souligne cette ironie : sous couvert de “désintéressement et de réalisme”, la République radicale vire à la République financière. Le Canard feint d’y voir un “succès patriotique” pour la nation, mais l’on comprend vite que c’est une victoire du capital, des grands corps et des technocrates.
Les dessins qui accompagnent l’article — des petits bourgeois à chapeau melon posant fièrement devant un kiosque marqué “Vive Tardieu” — parachèvent la charge visuelle. Le journal raille la manière dont la presse traditionnelle glorifie ce “cabinet de prestige”, tandis que les citoyens, eux, ne voient guère de différence : “Ce n’est pas peu dire qu’on y a mis le temps.”
La dernière partie de l’article, faussement solennelle, porte le coup de grâce. Drégerin y évoque “la confiance et encore la confiance” qui règne dans les couloirs du pouvoir, parodiant le ton des discours officiels. On salue le “désintéressement” des ministres tout en évoquant les “Baux embryophytologiques” et les “sous-secrétariats au Contrôle des verrières irrégulières”, inventions burlesques typiques du Canard de cette époque.
Dans le contexte de novembre 1929, ce pastiche prend une dimension presque prophétique. À peine une semaine plus tôt, Wall Street s’effondrait. Le monde s’apprête à basculer dans la Grande Dépression, mais en France, on s’auto-congratule d’avoir trouvé le gouvernement “des honnêtes gens”. L’ironie de Drégerin, dans son mélange de burlesque et de lucidité, capte à merveille cette dissonance : un pays satisfait de sa stabilité, au bord du gouffre.
Sous son humour potache, le Canard de 1929 tient déjà son rôle historique : celui du miroir déformant qui révèle la vérité des temps — celle d’un pouvoir figé dans ses certitudes, pendant que le monde s’effondre autour de lui.





