N° 725 du Canard Enchaîné – 21 Mai 1930
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21 mai 1930 — “Du génie colonisateur…” : Scize démonte le mythe de l’Empire
De Yên Bay à Vercingétorix, une leçon d’histoire
À la une du Canard enchaîné, Pierre Scize s’indigne de la répression des nationalistes vietnamiens et dénonce l’hypocrisie du “génie colonisateur”. Sous des allures de reportage, son texte renverse la fable impériale : les Gaulois d’hier sont les Annamites d’aujourd’hui. De la guillotine de Yên Bay au glaive de Vercingétorix, Scize signe une des plus fortes pages anticoloniales du Canard des années trente.
👉 À lire l’article de Sylvain Parpaite : La révolte de Yên Bái
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Le 21 mai 1930, Le Canard enchaîné publie à sa une un texte d’une rare puissance signé Pierre Scize, sous le titre « Du génie colonisateur… ». En s’appuyant sur le reportage de Louis Roubaud consacré à la révolte de Yên Bay — insurrection nationaliste vietnamienne de février 1930 — Scize livre une dénonciation implacable du colonialisme français, masqué derrière les oripeaux du “génie civilisateur”.
Sous un ton calme, presque didactique, l’article s’ouvre sur le départ de son “ami Roubaud” pour l’Indochine. Le reporter du Petit Parisien est alors célèbre pour ses enquêtes à travers l’empire colonial. Scize feint de s’y intéresser par curiosité journalistique, mais très vite, le ton change : il décrit une colonie “où l’homme est toujours, sous toutes les latitudes, le même être médiocre, avide, batailleur, salace et hypocrite”. Dans cette phrase, l’humour se mue en satire morale : l’auteur ne parle plus des colonisés, mais bien des colonisateurs.
Le texte s’enfonce dans une ironie sombre : Roubaud, écrit Scize, a “vu des blancs occupés à boire des apéritifs sous les vérandas” pendant que les anciens propriétaires vietnamiens “vivaient d’une existence chétive et méprisée”. Le décor est posé : une colonie où “tout semble aller bien”, mais où la hiérarchie raciale et l’exploitation économique écrasent la population indigène. Et lorsque la révolte éclate à Yên Bay, elle est réduite, à Paris, à un “incident” ou à un complot “venu de Moscou”. La presse métropolitaine préfère y voir la main des Bolcheviks plutôt que la conséquence directe de la misère et des humiliations coloniales.
Scize s’insurge contre ce silence. Il évoque les exécutions publiques de mai 1930 — “une guillotine travaillant en série” — et le cynisme d’une société qui, entre deux têtes tranchées, va “prendre un cordial”. La plume se fait acérée, presque blanche de colère. L’ironie du début cède la place à une indignation nue. “De la lente révolte d’un peuple bafoué dans ses traditions, dans sa culture, dans sa foi… de tout cela, pas un mot”, écrit-il, tandis que “nos professeurs d’énergie, de Maurras à Aymard, frappent du pied et exigent un exemple terrible”. La cible n’est plus seulement la colonisation, mais tout un discours nationaliste et moralisateur, qui justifie la répression au nom de la grandeur française.
Et puis, dans un mouvement de style saisissant, Scize fait surgir l’Histoire : “Pourquoi ai-je pensé brusquement à Vercingétorix ?” demande-t-il. La comparaison est vertigineuse. L’auteur met en parallèle les Vietnamiens insurgés et le chef gaulois vaincu par César. Les Romains sont devenus les Français, les Annamites leurs Gaulois, et le cercle de la domination se referme. Mais la fin du texte ouvre un espoir : l’empire romain est tombé, et le nom de Vercingétorix “devint synonyme d’indépendance et de libération”. Sous la plume de Scize, l’avenir colonial est déjà écrit : il sera celui des peuples libérés.
Ce texte, paru en mai 1930 — en pleine célébration du centenaire de la conquête d’Algérie — prend valeur de manifeste anticolonial. Dans un Canard encore souvent humoristique, Scize livre ici une chronique d’une gravité rare, où l’ironie devient arme politique. Derrière la figure du journaliste indigné perce celle du moraliste : celui qui rappelle que l’Empire, comme Rome autrefois, finira toujours par tomber.





