N° 734 du Canard Enchaîné – 23 Juillet 1930
N° 734 du Canard Enchaîné – 23 Juillet 1930
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23 juillet 1930 — André Tardieu, vacancier modèle et prophète du “réalisme”
Quand la vie chère devient un argument électoral
Dans ce faux reportage d’été, Drégerin croque un André Tardieu infatigable : six cents campagnes à mener, un pays “équilibré”, des scandales à étouffer… et des patriotes à rassurer. Pain à trois francs, grêle providentielle et affaires coloniales : la prospérité selon Tardieu, c’est surtout celle du discours.
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M. André Tardieu a des vacances chargées
Le 23 juillet 1930, Le Canard enchaîné place en une un texte signé Drégerin, titré avec un humour de fonctionnaire pressé : « M. André Tardieu a des vacances chargées ». À travers ce faux billet mondain, l’auteur dresse un portrait cinglant du président du Conseil en chef d’orchestre autoproclamé de la prospérité française. L’ironie du titre donne le ton : pendant que le pays souffre de la vie chère et des premières secousses de la crise mondiale, Tardieu, lui, s’offre des “vacances” pleines d’activité patriotique — c’est-à-dire de propagande.
Le texte s’ouvre sur une scène typique du Canard : une petite phrase, anodine en apparence, que la rédaction retourne comme un gant. “J’ai autre chose à faire que de préparer une élection”, aurait répondu Tardieu à ceux qui lui proposaient un siège de sénateur. Drégerin commente aussitôt : “Mener, à l’heure actuelle, une campagne électorale ? Qu’on lui permette de rigoler !” Tout l’article repose sur cette contradiction entre la posture de désintéressement et la réalité d’un gouvernement obsédé par l’avenir électoral. Sous couvert de “préparer 1932”, Tardieu s’affaire à consolider son pouvoir, verrouiller la presse et flatter les “patriotes” fatigués.
Le journaliste raille la rhétorique du “réalisme” tardivien — ce mot fétiche du chef du gouvernement, devenu refrain de la propagande. “Pas une de moins : six cents campagnes que j’ai à mener pour 1932 !” écrit Drégerin, pastichant la voix autoritaire du président du Conseil. La machine politique tourne à vide, mais elle tourne. Et la satire devient plus mordante encore lorsque le texte énumère les fléaux économiques que Tardieu transforme en succès : “Avec le pain à trois francs, le litre à onze, le bifteck à seize et les chaussures à cent quatre-vingt-quinze la demi-paire, ça devient rare si le commerce honnête trouve à se plaindre.” L’hyperbole fait mouche : c’est la France du quotidien, étranglée par l’inflation, que Le Canard ressuscite sous la façade du “redressement national”.
Drégerin élargit ensuite sa moquerie au climat général du pays : orages, inondations, grêle et cyclones se mêlent à l’industrie des “boutons de guêtres” et des “visières pour képis genre Bugeaud”. La prospérité selon Tardieu, c’est la prospérité en uniforme : l’économie au service du prestige militaire et de l’ordre social.
Mais derrière le comique d’accumulation, le Canard dénonce les affaires troubles qui minent le régime. Drégerin évoque, à demi-mot, la N’Goko-Sangha et la Homs-Bagdad, deux scandales coloniaux liés à des concessions financières douteuses — dossiers sur lesquels Le Canard reviendra souvent. En associant Tardieu à ces zones d’ombre, il souligne le paradoxe d’un homme qui se prétend au-dessus des partis et des “magouilles”, tout en dirigeant un gouvernement traversé par les lobbys économiques.
La chute, faussement bienveillante, clôt la satire avec un sourire narquois : “Les patriotes peuvent donc en toute sérénité s’en aller prendre leurs bains de soleil.” Autrement dit, dormez tranquilles : le pouvoir veille, et les petits arrangements aussi. Sous le vernis de la plaisanterie estivale, Drégerin tire le portrait d’une République qui, en cet été 1930, s’enfonce dans la complaisance, tandis que son chef de gouvernement confond autorité et autosatisfaction.





