N° 737 du Canard Enchaîné – 13 Août 1930
N° 737 du Canard Enchaîné – 13 Août 1930
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13 août 1930 — “Liberté libère-tasse” : Whip sabre la prohibition américaine
Quand les gardiens de la morale tirent plus vite que leur ombre
Dans cette chronique d’outre-Atlantique, Whip décrit la nuit absurde où des patrouilleurs ivres mitraillent d’autres patrouilleurs qu’ils croient être des contrebandiers. Au pays de la “Liberté”, la loi sèche tourne à la noyade. Entre ironie mordante et désillusion politique, Le Canard vide son verre à la santé d’une Amérique imbibée d’hypocrisie.
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Liberté libère-tasse
Sous le titre facétieux « Liberté libère-tasse », Whip — plume vive et caustique du Canard enchaîné — livre, dans l’édition du 13 août 1930, une chronique d’outre-Atlantique où l’humour sert de prisme à une tragédie absurde : celle de la prohibition américaine. Derrière la cocasserie du jeu de mots (liberté-libertasse), l’article tourne en dérision l’idéalisme américain qui, au nom de la morale, a transformé un continent en champ de tir flottant pour contrebandiers et gardes-côtes imbibés.
Le texte s’ouvre sur un ton faussement léger : “Cet été de froid continu… nous apporte tout au moins une nouvelle tirebouchonnante”. La formule annonce le ton : si la météo française déprime, l’Amérique fournit un sujet de réjouissance satirique. Whip évoque la nuit sur l’Atlantique, les “flots sombres” et les “formes noires” qui louvoyent — une atmosphère de polar avant l’heure. Mais très vite, le récit bascule dans le burlesque : les “valereux serviteurs de la Liberté”, c’est-à-dire les patrouilleurs américains chargés de faire respecter la loi sèche, tirent à vue sur des silhouettes indistinctes qu’ils prennent pour des trafiquants d’alcool. L’ironie est mordante : au pays de la liberté, on tue au nom de l’abstinence.
L’auteur raille la morale puritaine de la prohibition, votée en 1919 et toujours en vigueur en 1930, malgré ses effets délétères : explosion de la criminalité, enrichissement de la mafia et corruption à tous les étages. Whip n’a pas besoin de le dire explicitement : il suffit de décrire la scène — des garde-côtes “plus gris que schlass”, aussi ivres que ceux qu’ils traquent. La phrase est tranchante : “Ces valeureux serviteurs de la Liberté, comme dit le Figaro avec une assez élégante ironie, s’étaient accordé à eux-mêmes celle de s’en mettre plein la lampe.” La liberté américaine, conclut Whip, s’est noyée dans le whisky qu’elle prétendait bannir.
Au-delà de la raillerie, cette chronique s’inscrit dans une veine plus large du Canard des années 1930 : la satire internationale. Dans une Europe encore fascinée par les “modèles” anglo-saxons, l’hebdomadaire se plaît à rappeler les contradictions de la civilisation américaine. Sous la statue de la Liberté, Whip ne voit plus qu’une icône vide de sens : “Jonathan, dis, renvoie-nous la statue de la Liberté dont tu nous as fait cadeau… seulement, attends un peu, le temps que nous trouvions un endroit où la mettre pour qu’elle signifie quelque chose.” La chute est superbe : un renvoi symbolique, cinglant et mélancolique à la fois.
En filigrane, l’article vise aussi la France de Tardieu et ses propres hypocrisies morales. Comme aux États-Unis, la “vertu” officielle y sert souvent de paravent à la violence institutionnelle. En tournant en dérision la prohibition américaine, Whip tend un miroir : derrière le vernis de la loi et de la morale, les démocraties de 1930 pataugent toutes dans leur propre hypocrisie.
Ainsi, dans le grand cabaret politique du Canard, “Liberté libère-tasse” est à la fois sketch et parabole : la Liberté, ivre de bonnes intentions, tire désormais sur son reflet.





