N° 738 du Canard Enchaîné – 20 Août 1930
N° 738 du Canard Enchaîné – 20 Août 1930
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20 août 1930 — La “grande noix d’honneur” décernée à M. Intérim : la satire du patriotisme en papier mâché
Quand Le Canard décore les champions du chauvinisme
Pour avoir “redécouvert” les droits éternels de la France sur la Sarre, L’Ordre et son journaliste “M. Intérim” reçoivent la fameuse noix d’honneur du Canard. Une médaille pour service rendu à la bêtise patriotarde — et une leçon d’ironie à une presse qui confond encore cocarde et clairvoyance.
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La grande noix d'honneur à M. Intérim
Le 20 août 1930, Le Canard enchaîné consacre sa célèbre « grande noix d’honneur » à un certain M. Intérim, plume du journal L’Ordre. L’article, signé sans nom d’auteur mais typique de la verve collective du Canard, constitue un petit chef-d’œuvre d’ironie journalistique : sous couvert de félicitations, il ridiculise à la fois la presse nationaliste, le chauvinisme revanchard et la vacuité du discours pseudo-patriotique de l’époque.
Le texte s’ouvre sur un ton faussement solennel : “Ainsi que personne ne le sait, il existe à Paris un journal qui s’appelle L’Ordre. Le leader en est actuellement M. Intérim, journaliste au talent multiple…” D’emblée, le Canard joue du comique bureaucratique — M. Intérim, c’est évidemment un pseudonyme transparent pour désigner un journaliste sans personnalité, qui remplace au pied levé un autre plumitif tout aussi interchangeable. L’hebdomadaire se moque ici de la mécanique de la grande presse de droite : celle des rédactions nationalistes où les noms changent, mais où le ton, la pensée et la servilité restent les mêmes.
La satire s’ancre dans l’actualité diplomatique : l’affaire de la Sarre, territoire placé sous mandat de la Société des Nations depuis le traité de Versailles (1919). En 1930, la question du rattachement futur de cette région — majoritairement germanophone mais économiquement liée à la France — commence à ressurgir. Dans la presse conservatrice et patriotarde, des voix s’élèvent pour “revendiquer” la Sarre au nom du “droit français”. Le Canard, qui n’a rien perdu de son antinationalisme né de 1914, tourne en dérision cette enflure verbale.
“C’est M. Intérim qui, dans un magnifique article de L’Ordre, a découvert et affirmé les droits de la France sur la Sarre.” Tout le sel est là : la découverte d’un droit imaginaire devient un acte de bravoure journalistique. Bientôt, écrit le Canard, “l’erreur est dissipée : la Sarre est à la France, et les droits sont si évidents qu’il n’est pas exagéré de les qualifier de séculaires.” Le faux sérieux du style administratif culmine dans une rhétorique de musée : la “grande noix d’honneur” vient couronner ce patriotisme d’alcôve qui confond la plume et l’épée.
Cette “noix d’honneur” est bien sûr une parodie des décorations officielles, ces “palmes académiques” et “médailles du mérite” que Le Canard détourne depuis 1922 en trophées d’imbécilité publique. Ici, elle récompense moins un homme qu’une attitude : celle du journaliste zélé, prompt à servir la propagande du moment. Derrière M. Intérim, c’est tout un système médiatique que Le Canard fustige — celui des organes de droite (comme L’Ordre, L’Action française ou Le Temps) qui habillent de nobles formules la politique agressive et les relents revanchards des élites françaises.
L’article se termine comme il a commencé, sur une note de fausse pompe : “La grande noix d’honneur fera justement figure, accrochée au cou de cet excellent citoyen.” Dans cette dernière phrase, le Canard s’amuse du double sens : le “collier de noix” du ridicule remplace la médaille d’or du mérite. Derrière l’humour, un constat politique : en 1930, la France des discours patriotiques est en plein vide — une république “entre deux guerres”, suspendue entre la peur du déclin et la tentation de la revanche.





