N° 745 du Canard Enchaîné – 8 Octobre 1930
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8 octobre 1930 — Quand Le Canard accompagne Doumergue en Bretagne
Un voyage présidentiel… au pas de crêpe
Sous la plume d’André Dahl, la tournée bretonne de Gaston Doumergue devient une épopée ubuesque : concours de coiffes, discours creux, korrigans et galettes s’y disputent l’honneur de la République. Derrière le burlesque, une satire mordante du rituel républicain qui tourne à vide, à l’heure où la France entre dans la crise.
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M. Doumergue en Bretagne - Programme officiel et complet du voyage présidentiel
Le 8 octobre 1930, Le Canard enchaîné publie en page 3 un texte d’André Dahl intitulé « Programme officiel et complet du voyage présidentiel ». Le prétexte ? Le déplacement du président Gaston Doumergue en Bretagne, pour une tournée officielle censée raviver les liens entre la République et les provinces. Mais sous la plume de Dahl, le protocole se transforme en vaudeville : une parodie d’agenda présidentiel où les inaugurations, discours et banquets s’enchaînent jusqu’à l’absurde, ponctués de crêpes, de coiffes et de crachin.
Dès les premières lignes, le ton est donné : « Le ministère de l’Intérieur nous communique le programme détaillé du voyage de M. Doumergue en Bretagne. Nous rappelons que notre programme est le seul dont la vente soit autorisée sur le parcours du cortège officiel. » La fausse solennité bureaucratique annonce une suite drolatique où l’on rit du rituel républicain, figé dans la répétition et la vanité. Chaque étape du “voyage officiel” est tournée en dérision : Doumergue s’arrête à Orléans pour rappeler “qu’il est d’une vieille famille orléanaise”, puis à Angers “qu’il est d’une vieille famille angevine”, et enfin à Brest “qu’il est d’une vieille famille brestoise”. La satire est limpide : la République provinciale s’est muée en théâtre de flatteries et d’autocélébration, où chaque déplacement présidentiel devient un inventaire d’absurdités convenues.
Le texte fourmille de trouvailles dignes d’un scénario d’Ubu président. Dahl invente une “chasse à courre au korrigan”, une “fête vénitienne sur la rivière de l’Odet”, ou encore une “remise des palmes à un vieux pêcheur en eau trouble”. On y croise des “concours de coiffes” et des “banquets bretons” à la chaîne, où Doumergue multiplie les discours creux et les toasts d’usage. Au détour d’une phrase, le journaliste feint la précision documentaire — “Arrivée à 13h20, essai de discours par M. J.-L. Dumesnil, à la sortie de l’arsenal” — pour mieux souligner l’inanité du cérémonial. L’ironie culmine lorsqu’il imagine le président lançant le sous-marin Duplex entre deux dégustations de galettes et une averse de crachin, avant de rentrer à Paris “escorté du cortège des coiffes qui suit le train en courant”.
Sous cette fantaisie, Le Canard livre une critique bien réelle de la IIIe République en 1930. Alors que la crise économique s’installe, que le chômage monte et que le régime s’enlise dans les querelles partisanes, les voyages présidentiels apparaissent comme des rituels d’autosatisfaction nationale, où l’on célèbre la stabilité pendant que le pays s’effrite. Doumergue, président modéré et discret, incarne ce pouvoir de façade, sans souffle ni projet. En moquant ce “voyage présidentiel” ponctué de folklore, Dahl pointe l’écart croissant entre les élites républicaines et la réalité du pays.





