N° 750 du Canard Enchaîné – 12 Novembre 1930
N° 750 du Canard Enchaîné – 12 Novembre 1930
69,00 €
En stock
12 novembre 1930 — “Mon souvenir de l’Armistice” : quand André Dahl enterre la gloire
Un 11 novembre vu du fond du trou
Dans un pastiche désopilant des souvenirs militaires, André Dahl raconte son 11 novembre sous terre, entre boîtes de conserves et clarions fatigués. Douze ans après la guerre, Le Canard enchaîné tourne en dérision la rhétorique héroïque pour mieux dire l’essentiel : l’Armistice, c’était surtout la fin de la faim, et le début du silence.
Up to date, dessin de Pedro.
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
En stock
Mon souvenir de l’Armistice
Le 12 novembre 1930, Le Canard enchaîné publie à la une un texte d’André Dahl intitulé « Mon souvenir de l’Armistice », pastiche savoureux des innombrables récits commémoratifs qui, chaque automne, envahissent la presse française à l’approche du 11 novembre. Douze ans après la fin de la Grande Guerre, le ton héroïque et compassé des souvenirs d’anciens combattants est devenu une figure obligée du journalisme commémoratif — et, par conséquent, une cible rêvée pour la verve satirique du Canard.
Dahl s’amuse d’emblée de la “saison du souvenir” : “Cent dix-sept journaux, revues et groupements m’ont demandé un souvenir personnel sur l’Armistice.” Le chiffre absurde dit tout : la mémoire de la guerre est devenue un marché, un exercice rituel où chaque journaliste doit livrer sa version du 11 novembre, entre émotion obligatoire et patriotisme de papier. Dahl pousse la logique jusqu’à l’absurde : il aurait envoyé le “même souvenir” à tous, et réservé au Canard “le plus beau souvenir, le plus vrai, le meilleur”.
Suit alors un récit parodique de “souvenir de guerre” : l’auteur, relégué au rang de “simple soldat de deuxième classe”, raconte avec un sérieux faussement militaire son installation dans un abri de vingt-sept mètres sous terre, où l’on vit “avec un ascenseur, cassa la croûte, et creusa à la pelle-bêche”. Le “général Gonfledan” (nom inventé à la sonorité grotesque, typiquement canardesque) y joue le rôle du chef héroïque… obsédé par la logistique et les conserves. Toute la mythologie héroïque de la guerre est ainsi réduite à une suite de trivialités : boîtes de pastilles de kola, marmites de campagne, clarions et discipline digestive.
Le ton oscille entre le burlesque et le désenchantement. Derrière la farce, Dahl glisse un constat lucide : l’armistice, loin d’être une épopée, fut pour la majorité des soldats un soulagement muet, une lassitude plus qu’une victoire. “Je demeurai là encore quelques semaines, en entassant tout ce qui traînait de comestible sur le champ de bataille libéré.” Le grotesque s’accorde ici à une vérité profonde : la fin de la guerre n’eut rien de glorieux — seulement le silence, la faim, et le besoin de survivre.
Enfin, la chute du récit — un “général” qui s’enfonce littéralement “dans le sol de France” en creusant toujours plus — condense toute l’ironie du texte. L’Armistice, dans cette version drolatique, n’est pas la montée au ciel d’une nation victorieuse, mais la lente descente sous terre d’un peuple épuisé. Dahl renverse les codes du souvenir officiel, trop souvent figé dans la rhétorique héroïque, pour en révéler la vanité.
En 1930, la France célèbre dans la routine un Armistice déjà ritualisé : discours, sonneries aux morts, éditoriaux compassés. Le Canard, fidèle à son rôle, casse le ton : il transforme la mémoire en satire, non pour insulter les morts, mais pour rappeler combien le souvenir officiel a aplati l’expérience vécue. Derrière la cocasserie du “général Gonfledan” et des “foudres de guerre à 50 hectolitres”, il y a un rire amer : celui d’une génération revenue du mythe héroïque, et qui ne croit plus qu’en la dérision comme hommage vrai.





