N° 754 du Canard Enchaîné – 10 Décembre 1930
N° 754 du Canard Enchaîné – 10 Décembre 1930
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10 décembre 1930 — “Encore une affaire Dreyfus”… version Côte d’Azur
Quand l’argent fait campagne sous le soleil de Cannes
Dans la 4ᵉ circonscription de Cannes-Antibes, le richissime Louis-Louis Dreyfus inonde la région de dons “anonymes”. Maurice Maréchal, fondateur du Canard, signe une satire mordante : ici, la “justice” électorale se rend à coup de billets. Trente ans après le vrai Dreyfus, la République rejoue sa comédie des puissants — sur fond de Riviera et de ridicule.
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Encore une affaire Dreyfus
Le 10 décembre 1930, Le Canard enchaîné publie à sa une un article de Maurice Maréchal, son directeur et fondateur, sous un titre à double fond : « Encore une affaire Dreyfus ». Trente ans après le célèbre procès qui divisa la France, ce “nouvel épisode” n’a rien de judiciaire : il s’agit d’une élection législative partielle à Cannes-Antibes, devenue un carnaval politique où l’argent et la dérision tiennent lieu de programme. Maréchal, fidèle à sa plume ironique, détourne la mémoire de l’affaire d’État la plus grave de la IIIᵉ République pour en faire la fable comique d’une campagne électorale sur la Côte d’Azur.
Sous le soleil du littoral, la “season” bat son plein. Après les bals et les courses hippiques, une “attraction de choix” anime la région : la succession du député Capron. Quatre candidats se disputent les suffrages, mais un seul retient l’attention du Canard : M. Louis-Louis Dreyfus, indépendant de gauche et… multimillionnaire. Dès les premières lignes, Maréchal donne le ton : “Les bons bougres de l’endroit en ont pour leur argent. Ou plutôt, pour l’argent de M. Louis-Louis Dreyfus. Et Dieu sait s’il en a !” Le jeu de mots remplace le réquisitoire : ici, l’électorat se vend au plus offrant.
Le journaliste croque un décor typiquement cannois — plages, hôtels et curés en visite — où se mêlent notables, électeurs intéressés et candidats grotesques. Dreyfus, héritier fortuné du groupe éponyme, y arrose généreusement les paroisses, les associations et même l’évêque de Nice, Mgr Rémond, qu’il vient “saluer” lors d’une visite “profitables et curieuse”. Le Canard relève, non sans jubilation, “l’alliance imprévue du triangle et du goupillon”, c’est-à-dire de la franc-maçonnerie et du clergé, au bénéfice d’un mécène capable de convertir ses dons en voix.
Tout l’article repose sur ce contraste : la France d’en bas, celle des électeurs “pauvres mais naïfs”, manipulée par la France d’en haut, celle de l’argent et de la connivence. Le second volet du reportage, en page 3, enfonce le clou : le journal L’Églantine, seul à critiquer Dreyfus, se voit vidé de ses kiosques à chaque parution — miracle du zèle local. “On se perd en conjectures sur le mystérieux personnage qui pousse à ce point l’amour de la lecture…” écrit Maréchal avec un clin d’œil. Le coupable, bien sûr, n’est autre que le candidat fortuné, qui “ne veut pas recevoir d’argent de M. Dreyfus, même en lui vendant son journal”. Tout est dit : le pouvoir de l’argent ne se limite pas à acheter les votes, il contrôle aussi la presse.
Le Canard excelle dans le portrait au vitriol : derrière l’apparente légèreté du ton, l’article dénonce la corruption électorale qui mine la Troisième République. En pleine crise de confiance, après les scandales Oustric et Hanau, cette chronique d’une élection mondaine illustre une réalité bien plus large : la démocratie s’achète, les campagnes se jouent sur les dons, et la “morale républicaine” s’évapore sous le soleil de la Côte d’Azur. En rebaptisant cette mascarade “affaire Dreyfus”, Maréchal ne fait pas que parodier l’histoire : il montre que, trente ans après le capitaine, la République reste coupable — d’hypocrisie, de cynisme et d’oubli.





