N° 758 du Canard Enchaîné – 7 Janvier 1931
N° 758 du Canard Enchaîné – 7 Janvier 1931
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7 janvier 1931 — Rien que des clous !
Quand le préfet Chiappe plante son ordre dans les rues de Paris
Le préfet Jean Chiappe inaugure les passages cloutés ? Le Canard enchaîné lui rend hommage à sa manière : Rivet en fait un “monteur de clous”, Salardenne rédige le “Code du piéton”. Sous les gags, une leçon : en 1931 déjà, Paris étouffe sous les règlements, et le citoyen apprend à traverser — au pas cadencé.
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Des clous !
Le Canard enchaîné du 7 janvier 1931 ouvre l’année avec un double feu d’artifice satirique : une charge à la Une signée Jules Rivet (« Des clous ! ») et, en page 3, un faux règlement signé Roger Salardenne (« Le code du piéton »). Au centre de la cible : Jean Chiappe, préfet de police de Paris, homme d’ordre par excellence de la Troisième République finissante, et inventeur des passages cloutés, mis en service le 1er janvier 1931.
Ce qui, dans la presse sérieuse, passe pour une mesure de modernisation urbaine devient, sous la plume du Canard, un sujet de raillerie nationale : Paris a trouvé sa nouvelle croisade, non plus contre les bolcheviks ou les spéculateurs, mais contre les piétons.
Dans son article à la Une, Jules Rivet tourne en dérision l’auto-célébration du préfet, qui aurait, dit-il, “planté ses clous sur la voie publique dans le sens de la largeur, et ça donnera ce que ça donnera : probablement rien.” Le trait d’esprit est mordant : Chiappe, figure de la discipline policière, se voit réduit à un bricoleur municipal, plantant des clous comme d’autres plantent des pancartes.
Rivet joue sur le double sens du mot : “C’est un monteur de clous !” — autrement dit, un charlatan. Il imagine des “chauffeurs comptant les clous” et des “piétons sachant enfin où ils ont le droit de se faire écraser”. Le texte se termine en apothéose absurde : un futur “recueil de pensées” signé Chiappe, où l’on lirait ce genre d’aphorismes :
“Avec les passages cloutés, se faire écraser devient un plaisir.”
Sous cette apparente fantaisie, Rivet dénonce une politique du symbole, où l’on prétend réguler la modernité urbaine à coups de gadgets, sans jamais s’attaquer aux vrais problèmes : les embouteillages, le bruit, l’anarchie automobile. La caricature du Canard fait de Chiappe un homme satisfait de lui-même, “traversant cinquante-deux passages cloutés avec le sourire, la main dans l’ouverture du gilet”.
En page 3, Roger Salardenne pousse le délire jusqu’à rédiger le « Code du piéton », pastiche de texte officiel signé “Jean Chappe, P.C.C.”. Chaque article tourne la logique policière en ridicule :
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Article 2 : “Le piéton est tenu d’emprunter les passages cloutés. Il ne doit pas s’y installer avec sa famille pour un déjeuner champêtre.”
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Article 6 : “Un piéton qui, en traversant ailleurs que sur un passage clouté, renverserait une voiture serait poursuivi pour délit de fuite.”
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Article 11 : “Le précédent paragraphe ne concerne pas les membres du gouvernement et du Parlement.”
C’est là tout l’art du Canard : prendre une innovation anodine pour révéler, par l’absurde, le paternalisme technocratique d’un pouvoir convaincu que la société peut être régie par règlements et panneaux. La satire touche juste : sous Chiappe, la préfecture incarne la dérive autoritaire de la fin des années 1920, dans un Paris saturé de circulation et de contrôle.
En ce début de 1931, le journal raille ainsi un monde où l’ordre public remplace la politique, où l’on confond progrès et discipline. “Rien que des clous !” conclut Rivet — et c’est tout un programme : le clou comme métaphore d’une République qui se croit solide, mais ne tient que par des têtes martelées.





