N° 762 du Canard Enchaîné – 4 Février 1931
N° 762 du Canard Enchaîné – 4 Février 1931
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4 février 1931 — Quand Coty parfume la Corse… à l’or fin
André Dahl rebaptise l’île de Beauté en “île de Beaufric”
Fraîchement élu maire d’Ajaccio, le parfumeur milliardaire François Coty transforme la Corse en paradis doré. Dans un reportage corrosif, André Dahl décrit une île où tout se paye en “chécotis” et où les bandits font le week-end. Satire d’un pouvoir qui sent bon la vanité et le portefeuille.
La dernière mode de Paris, dessin de Pol Ferjac.
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L’île de Beauté est devenue l’île de Beaufric !
Sous la plume d’André Dahl, le Canard enchaîné du 4 février 1931 offre un petit chef-d’œuvre d’ironie politique intitulé : « L’île de Beauté est devenue l’île de Beaufric ! ». Dans ce reportage faussement touristique envoyé “d’Ajaccio”, Dahl se livre à une satire étincelante de la mainmise de François Coty sur la vie politique corse. Le parfumeur milliardaire, magnat de la presse et fondateur de L’Ami du Peuple, venait alors d’être élu maire d’Ajaccio (janvier 1931) — une victoire “achetée comptant”, selon le Canard, qui n’en perd pas une goutte du parfum d’argent qu’elle exhale.
Dès la première phrase, le ton est donné : le “touriste qui arrive en Corse” n’entre pas dans un paysage de beauté méditerranéenne, mais dans un “pays de cocagne comme il en existait seulement dans les contes de fées”. Sauf qu’ici, la baguette magique s’appelle Coty. Dahl joue sur le double sens de la “galette magique” — la galette des Rois… et celle, sonnante et trébuchante, du parfumeur.
Avec un humour cinglant, il décrit une île transformée en royaume de l’argent-roi : les rues d’Ajaccio sont pleines “d’hommes aux montres en or, de femmes aux colliers de perles, et d’enfants vêtus de neuf”. La caricature vire au conte satirique : la Corse, “île de Beauté”, devient “île de Beaufric”, où chaque électeur baigne dans l’opulence distribuée par le “Pactolier”, surnom du nouveau maire.
Car François Coty, au-delà de sa fortune phénoménale, incarne une figure du pouvoir par l’argent que Le Canard enchaîné dénonce sans relâche dans les années 1930. Financier audacieux, nationaliste exalté, propriétaire de journaux, Coty a fait fortune dans les parfums avant de se lancer en politique, convaincu que tout se conquiert — y compris les voix — à coups de billets. Dahl reprend la rumeur, devenue légende locale, de ses “quarante-deux millions” dépensés pour devenir conseiller municipal, puis de “trente millions” de plus pour la mairie. Et il imagine déjà la suite : “Le jour où il voudra être député, la population lui fera un prix”.
Tout Ajaccio vit désormais au rythme du “chécoti”, monnaie fictive inventée par le Canard (abréviation de “chèque Coty”) : un franc vaut mille “chécotis”, clin d’œil corrosif à une économie où tout circule en faveurs et en dons. Même les bandits corses, écrit Dahl, “ne regagnent le maquis que du samedi au lundi pour le week-end” — les autres jours, ils profitent de la manne parfumée.
Quant à la mairie, l’auteur pousse la fable jusqu’au surréalisme : “une énorme boîte aux lettres” où les habitants déposent leurs factures, aussitôt réglées “sur les fonds personnels du maire”. Une image si absurde qu’elle en devient plausible — car elle dit la réalité d’une République clientéliste, où la charité publique tient lieu de politique.
Sous le vernis du comique, Dahl dresse donc un portrait mordant du césarisme provincial à la française, fait de largesses, de vanité et d’électoralisme à gros budget. En 1931, alors que la crise mondiale commence à secouer la France, Coty dépense sans compter pour acheter l’influence et l’affection d’une île entière.
Le Canard le renvoie à son miroir : celui d’un “généreux donateur” qui parfume la misère sans la guérir, et transforme la démocratie en vitrine de grand magasin.
La chute, faussement candide, clôt la chronique sur une pirouette digne de Dahl : “Il faut s’attendre à ce qu’un grand nombre de gens viennent se fixer en Corse, avec vue non pas sur la mer bleue, mais sur le maire doré.”
Un trait d’humour doré sur tranche… comme la politique parfumée de François Coty.





