N° 767 du Canard Enchaîné – 11 Mars 1931
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11 mars 1931 — Les poilus trop vivants pour le budget
Jules Rivet étrille la “maldonne” du ministre Piétri
Le gouvernement se plaint : les anciens combattants sont encore trop nombreux, et leurs retraites coûtent trop cher. Jules Rivet, lui, répond avec un humour ravageur : ces “bénéficiaires” ont eu le tort de ne pas mourir. Dans une satire cruelle, Le Canard rappelle qu’en 1931, la patrie qu’ils ont sauvée les accuse désormais de ruiner le budget.
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Les bénéficiaires
Publié à la une du Canard enchaîné du 11 mars 1931, l’article de Jules Rivet, intitulé « Les bénéficiaires », s’attaque avec une ironie glaciale à la politique du gouvernement envers les anciens combattants. Derrière la verve et la moquerie, c’est toute une société ingrate que Rivet met en accusation — celle qui, treize ans après la fin de la Grande Guerre, reproche aux survivants d’avoir survécu.
Le contexte est celui d’une France fatiguée, qui s’enfonce dans la crise économique mondiale et cherche à tout prix à resserrer les cordons de la bourse. Le ministre du Budget, François Piétri, vient d’annoncer que les crédits votés par la Chambre pour les retraites des anciens poilus (400 millions de francs) ne suffiront pas : il en faudrait au moins le double. Et voilà le comble de la mauvaise foi budgétaire — ce dépassement, explique-t-il, ne vient pas d’une erreur d’évaluation, mais de “l’accroissement du nombre des bénéficiaires”. Autrement dit : ces anciens combattants ont eu le tort de ne pas mourir assez vite.
C’est cette logique perverse que Rivet décortique avec un humour au scalpel. Il feint de suivre le raisonnement du ministre :
“Ces anciens combattants, s’ils savent vivre, ils vont mourir un petit peu et même beaucoup… C’était, en principe, justement raisonné.”
La phrase, d’un cynisme d’autant plus mordant qu’elle semble raisonnable, retourne la rhétorique technocratique contre elle-même. L’ironie fonctionne à plein : ce ne sont pas les morts qu’on honore, mais les vivants qu’on accuse d’entraver les comptes publics.
Rivet poursuit, implacable. Ces “bénéficiaires” ne sont plus considérés comme des héros, mais comme des poids morts économiques, des perturbateurs du budget. Le vocabulaire administratif — “maldonne”, “évaluations dépassées”, “accroissement du nombre” — contraste cruellement avec la réalité humaine des mutilés, des gazés, des gueules cassées, que la société préfère oublier. Le Canard rappelle ainsi, en pleine période de restrictions, le paradoxe d’une République qui commémore la guerre mais rechigne à payer la paix.
Le ton s’aiguise encore dans la dernière partie, où Rivet pousse la logique jusqu’à l’absurde :
“Ils ont sauvé la patrie, il leur reste à sauver le budget !”
L’humour noir vire au pamphlet. La formule — à la fois cocasse et tragique — résume le cynisme de la France d’entre-deux-guerres, où les survivants sont invités à “se rendre à l’eau” pour équilibrer les finances. La chute, faussement légère — “Vivement un nouveau défilé sous l’Arc de Triomphe et puis qu’ils se jettent à l’eau !” — est un coup de grâce. Derrière la blague, on entend la colère : celle d’un pays qui, en 1931, préfère compter ses sous plutôt que ses morts.
Rivet, fidèle à la ligne du Canard, ne se contente pas de rire du pouvoir : il en démonte les hypocrisies. Le ton faussement léger cache un cri de révolte contre une politique qui transforme les héros en gêne budgétaire. L’article résonne comme un écho amer à la promesse jamais tenue de “la Der des Ders” : les poilus, encore debout, deviennent les victimes d’une autre guerre — celle du budget contre la mémoire.





