N° 78 du Canard Enchaîné – 26 Décembre 1917
N° 78 du Canard Enchaîné – 26 Décembre 1917
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Il nous faudrait 3 Millions
Le 26 décembre 1917, Le Canard enchaîné se livre à une parodie irrésistible des appels à l’emprunt patriotique : tandis que L’Action française et La Victoire sollicitent leurs lecteurs pour financer papier et tirages, le Canard réclame trois millions… pour du papier, certes, mais aussi pour Monte-Carlo, des cigarettes et le réveillon de la rédaction. Une provocation jubilatoire qui raille à la fois la presse rivale et la rhétorique sacrificielle de la guerre.
La chanson du G.V.C. par Marcel Arnac –
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L’édition du 26 décembre 1917 offre une perle de l’humour caustique du Canard enchaîné : un faux appel aux lecteurs intitulé « Il nous faudrait 3 millions ». L’article s’inscrit dans un contexte où les journaux, frappés par la crise du papier et la hausse des coûts, multipliaient les appels aux souscripteurs pour maintenir leur parution. L’Action française ou La Victoire n’hésitaient pas à brandir le patriotisme comme argument, incitant leurs lecteurs à contribuer au salut de la presse comme ils contribuaient à celui de la nation.
Le Canard reprend cette rhétorique, mais pour la pousser jusqu’à l’absurde. Après avoir constaté que d’autres réclament un million ou 350 000 francs, il annonce sans détour que lui aussi a besoin de subsides… à hauteur de trois millions. L’énumération des postes de dépenses est un modèle de dérision : supplément de papier (31,25 francs), mais aussi indemnité de renvoi pour le dessinateur H.-P. Gassier (30 000 francs), séjour à Nice et Monte-Carlo (50 000 francs), sans oublier cigarettes, tabac et allumettes pour la rédaction. L’essentiel du budget est englouti dans un mystérieux poste de « divers et imprévus » – en réalité, les allocations aux « petites amies ».
Tout est là : l’art de renvoyer la gravité des appels patriotiques à une logique d’épicerie où le sérieux est miné par des détails burlesques. En exhibant les dépenses les plus frivoles, le Canard démasque la vanité des discours de sacrifice : à force de demander toujours plus, les journaux nationalistes finissent par ressembler à de simples quêteurs. Autant alors pousser la logique et quémander pour des motifs ouvertement égoïstes.
L’efficacité du texte réside aussi dans son ton. Le Canard n’implore pas : il revendique. « Est-ce trop que de demander à 3 000 de nos lecteurs de nous envoyer 1 000 francs chacun ? » interroge-t-il, feignant l’assurance de ceux qui sont convaincus d’avoir droit à la générosité publique. La conclusion enfonce le clou : « Plus on nous enverra, plus nous serons désintéressés. » Le paradoxe tourne en dérision la rhétorique de l’abnégation patriotique, réduite à une formule creuse.
Enfin, le dessin du canard enchaîné qui tire des larmes dans un chapeau complète la charge en la ramenant à l’univers du cirque et de la mendicité. Ici, la presse n’est plus une institution sacrée : elle est un saltimbanque qui tend son chapeau au public.
Cet article illustre à merveille la fonction satirique du Canard enchaîné : dégonfler les postures martiales, tourner en ridicule les rivalités de presse, et rappeler qu’en pleine guerre, l’humour reste une arme de salubrité publique.

 
      



