N° 786 du Canard Enchaîné – 22 Juillet 1931
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22 juillet 1931 — Quand Laval, Brüning et MacDonald “se téléphonent d’une cabine à l’autre”
Drégerin fait chavirer la diplomatie européenne
Sous ses airs de chronique légère, l’article démonte la comédie des pourparlers franco-allemands de l’été 1931. Tandis que Laval, Brüning et MacDonald “s’échangent des biffetons”, Le Canard raille les illusions d’une paix de comptoir : celle des États qui prêtent sans jamais payer, et négocient sans jamais s’entendre.
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Le 22 juillet 1931, Le Canard enchaîné publie à sa une un article signé Drégerin, consacré aux pourparlers économiques entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, au moment où la crise financière mondiale secoue l’Europe. Derrière le ton badin et les jeux de mots de façade, le texte résume avec une ironie chirurgicale le désordre diplomatique de l’été 1931, quand le système issu du traité de Versailles vacille sous la pression des faillites, des dettes et de la peur du bolchevisme.
Depuis la proposition de moratoire Hoover (juin 1931), qui suspendait pour un an le paiement des dettes interalliées et des réparations allemandes, les capitales européennes tentent d’éviter la banqueroute du continent. L’Allemagne, étranglée par la déflation et les retraits massifs de capitaux américains, est au bord de l’effondrement. Son chancelier Heinrich Brüning cherche désespérément à convaincre Paris et Londres de lui accorder un sursis financier. En face, Pierre Laval joue les médiateurs prudents, tandis que Ramsay MacDonald, Premier ministre britannique, essaie de sauver ce qui reste de la coopération européenne.
Mais dans la lecture qu’en fait Le Canard, cette “conférence” diplomatique ressemble à une comédie de boulevard à trois personnages : Brüning, MacDonald et Laval se poursuivent d’une capitale à l’autre “dans la plus franche cordialité”. L’article raille la multiplication des réunions et télégrammes creux : “En un mot comme en douze, les pourparlers franco-allemands sont nullement interrompus. Ils continuent. Ils continuent entre MM. MacDonald et Brüning, voilà tout.”
Cette fausse transparence, Drégerin la dynamite par le rire : selon lui, ces entretiens “se poursuivent à Londres” parce que la “Conférence de Paris” s’y est déplacée — pirouette d’un humour typiquement canardesque pour dire que les décisions se prennent ailleurs que sur le sol français. Plus loin, l’auteur imagine Brüning et MacDonald “s’éclipser en douce de temps en temps pour se retrouver dans les coins”, clin d’œil moqueur à la diplomatie sentimentale du moment.
Mais derrière le burlesque, le message est limpide : la France s’enferme dans sa logique de créancier, obsédée par les “garanties” que doivent offrir ceux à qui elle prête de l’argent. Drégerin se moque de cette mentalité de rentier national : “Vous nous donnerez à nous, et c’est nous qui les prêterons à l’Allemagne.” En d’autres termes : Paris ne prête rien directement à Berlin, mais encaisse les intérêts du prêt que d’autres financeront. Une mécanique absurde que l’auteur résume ainsi : “Comme c’est à nous que revient le pognon, qu’est-ce que ça peut bien faire, dès lors, qu’il y ait des garanties ou pas de garanties ?”
Sous le trait, on retrouve la lucidité économique du Canard des années 1930 : un pays persuadé de “sauver la paix” tout en maintenant les vaincus sous tutelle financière. La crise allemande de 1931 annonce pourtant l’effondrement du système de Versailles — et avec lui, la montée des extrêmes. Le ton goguenard de Drégerin masque mal une inquiétude sourde : le monde chancelle, mais les chancelleries continuent à jouer à la marchande.
La dernière pirouette achève de ridiculiser la grandiloquence officielle : “On peut donc considérer que l’affaire est dans le sac. C’est-à-dire qu’il n’y a plus qu’à remplir ledit sac de biffetons et à le refiler à M. MacDonald.” Tout est dit : le sac, c’est celui du contribuable, et le résultat, une mascarade financière sans lendemain.
Par son humour feutré, Drégerin illustre l’art du Canard de la Troisième République : rendre la haute diplomatie aussi absurde qu’un vaudeville, tout en pointant du doigt les logiques de domination économique qui mèneront l’Europe à sa perte.

 
      



