N° 789 du Canard Enchaîné – 12 Août 1931
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12 août 1931 — Retraite spirituelle ou escapade conjugale ?
Quand Maurice Maréchal transforme un fait divers en sermon comique
Un industriel “mystique” retrouvé en pèlerin à Avignon inspire au fondateur du Canard une parabole savoureuse : les “hostelleries conventuelles” comme couverture idéale des absences conjugales. Sous la légèreté du ton, Maréchal dresse le portrait d’une France ingénieuse et hypocrite, toujours prête à baptiser ses travers du nom de vertu.
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L’Hostellerie conventuelle – Un truc qui pourrait servir
Le 12 août 1931, Le Canard enchaîné ouvre sa une sur un texte de Maurice Maréchal, fondateur du journal, intitulé « L’Hostellerie conventuelle – Un truc qui pourrait servir ». Sous ce titre faussement pieux, Maréchal livre un petit chef-d’œuvre d’humour conjugal et de satire sociale, où les escapades sentimentales trouvent refuge derrière les murs de la religion.
Tout part d’un fait divers invraisemblable — et bien réel, comme souvent chez Maréchal : un industriel nantais, disparu mystérieusement, est retrouvé quelques jours plus tard… à Avignon, déguisé en pèlerin, un chèque bien garni dans la poche. L’homme jure ne rien comprendre à cette étrange odyssée. Le Matin, grand quotidien de l’époque, avance l’hypothèse d’un « état mystique ». Le Canard, lui, s’empare de l’affaire avec sa verve coutumière.
Maréchal feint d’y voir une piste sérieuse : l’existence, autour de Paris, de “maisons de retraite religieuses”, où des pèlerins peuvent “vivre entièrement religieux pendant dix jours ou plus pour un prix modique”. Et d’imaginer aussitôt l’usage détourné que pourraient en faire les couples en crise ou les maris volages : un prétexte idéal pour s’absenter “quelques jours des liens conjugaux”, avec bénédiction du clergé et garantie de respectabilité.
Sous cette plaisanterie d’apparence légère se cache une critique à double détente. D’un côté, Maréchal moque les faux dévots de la bourgeoisie, prompts à invoquer la religion pour couvrir leurs petites faiblesses ; de l’autre, il égratigne la presse bien-pensante — Le Matin, en l’occurrence — toujours prête à transformer les faits divers en paraboles morales. L’ironie fuse dans chaque ligne : “Nous avons connu jadis un industriel qui, sous le fallacieux prétexte d’aller chercher le lait et des petits croissants chauds, n’était rentré que huit jours plus tard…” L’auteur fait semblant d’adresser des conseils aux lecteurs — “Un truc qui pourrait servir” — tout en exposant la bêtise universelle de ses personnages.
Dans le contexte de l’été 1931, ce ton léger n’est pas anodin. La France traverse alors une période de morosité : faillites en série, chômage, effondrement du commerce international. Le Canard, fidèle à sa vocation, détourne la grisaille économique par le rire, en se recentrant sur la petite comédie humaine. Là où d’autres journaux s’enfoncent dans le pathos ou le sermon, Maréchal offre un moment de satire joyeuse, où les travers des Français — crédulité, hypocrisie, et goût du “système D” — deviennent matière à sourire plutôt qu’à désespérer.
Et comme souvent, l’écrivain se réserve une chute d’une élégance parfaite. Le mari imaginaire s’adresse à son épouse avec aplomb :
“Comprends-moi, ma chérie. Ça m’a pris chez le crémier comme un coup de folie. Il fallait absolument que je fasse une retraite… dans une hostellerie conventuelle !”
En une phrase, tout est dit : le verbe “retirer” devient le mot-valise de l’époque — on se retire du travail, du ménage, des affaires, de la morale, pour mieux revenir les poches pleines ou la conscience lavée.
Sous le badinage, Maréchal livre une chronique sur la France hypocrite et astucieuse, celle qui, même dans la tourmente économique, trouve toujours une “hostellerie” où abriter ses travers. La retraite spirituelle devient alors la métaphore d’un pays qui s’arrange avec tout — la morale, la foi et l’argent — pourvu qu’on en sorte, comme ce mari, “blanc comme neige”.





