N° 791 du Canard Enchaîné – 26 Août 1931
N° 791 du Canard Enchaîné – 26 Août 1931
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26 août 1931 — Quand André Dahl étrille le parfumeur patriote
François Coty, milliardaire à cheval entre parfum et propagande
Le fondateur de L’Ami du Peuple se lance dans les courses hippiques — nouvelle “victoire nationale” à en croire son propre journal. André Dahl s’empare de l’annonce et la transforme en chef-d’œuvre de satire : derrière la pompe du “grand patriote”, Le Canard dévoile un Coty mégalomane, patriote de pacotille et symbole d’une France qui sent un peu trop son parfum d’orgueil.
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L'activité d'un grand patriote - Fondation de l’écurie Coty
Le 26 août 1931, Le Canard enchaîné confie à André Dahl la charge de croquer un personnage qu’il affectionne particulièrement : François Coty, industriel du parfum, milliardaire fantasque, et surtout patron du quotidien L’Ami du Peuple, journal populiste et réactionnaire fondé en 1928. Sous le titre faussement respectueux « Fondation de l’écurie Coty », Dahl signe une satire jubilatoire, où la verve du Canard atteint son meilleur niveau : le sarcasme journalistique élevé au rang d’art de guerre.
Tout part d’une brève parue dans L’Ami du Peuple vantant la « nouvelle initiative » du grand patriote Coty : l’achat d’un yearling — jeune cheval de course — à Deauville, et la création de sa propre écurie hippique. Le Canard, fidèle à son habitude, reprend le ton de son adversaire pour mieux le parodier. Les premières lignes donnent la couleur :
« Quand on n’a pas de motifs particuliers de rigoler, on les trouve toujours dans la lecture de L’Ami du Peuple. »
Dahl s’amuse à pasticher la langue pompeuse du quotidien cotyste, multipliant les superlatifs : « clairvoyance unique », « persévérance jamais vaincue », « intelligence vraiment unique ». Tout le texte imite à la perfection les articles dithyrambiques de la presse de droite, tout en les vidant de leur sens par l’excès d’admiration. À force d’éloge, la caricature devient éclatante : Coty apparaît comme un tycoon mégalomane, un self-made man convaincu d’avoir sauvé la France à coups de parfums, d’avions, et désormais de pur-sang.
Mais sous la drôlerie, Dahl dresse un portrait d’époque. En 1931, Coty n’est pas seulement un parfumeur célèbre : c’est un acteur politique majeur. Son journal L’Ami du Peuple mène une violente campagne contre la IIIᵉ République, les syndicats, et la gauche, tout en exaltant la « vraie France » — catholique, patriote et hiérarchique. Ruiné par la crise mondiale, Coty tente de transformer sa fortune industrielle en influence politique. Il rêve d’unir les droites et finance à coups de millions une presse populiste qui prépare, à sa manière, le climat des années 1930.
Le Canard enchaîné, en reprenant les tics de style de ce rival dangereux, désamorce sa rhétorique. L’éloge devient un réquisitoire : Coty, présenté comme un demi-dieu de la réussite, y apparaît surtout comme le symbole grotesque du capitalisme paternaliste et narcissique. Dahl le décrit « clairvoyant », « infatigable », « ne devant qu’à lui-même sa réussite » — formules qui tournent en ridicule l’auto-célébration du milliardaire et son culte du mérite individuel. L’auteur va jusqu’à l’associer à Costes et Bellonte, les aviateurs qui ont traversé l’Atlantique quelques semaines plus tôt, insinuant qu’à force de vouloir tout incarner, Coty finira par se prendre pour un héros national.
La dernière partie du texte atteint un sommet d’ironie : « Grâce à M. Coty, la France luttera victorieusement avec les nations rivales. » L’emphase de propagande, copiée mot pour mot sur celle de L’Ami du Peuple, devient absurde : l’orgueil national se réduit ici à la fierté d’un parfumeur qui achète un cheval à Deauville. Dahl conclut en feignant la gravité : « Voilà ce que nous lirons. Coty est intelligent… à moins qu’il n’ait l’habitude du cheval à bascule. » Le trait est impitoyable.
Ce pastiche, à la fois drôle et politique, illustre à merveille la stratégie du Canard face aux populismes naissants : désamorcer la rhétorique par le rire, réduire les prétentions des puissants à une farce d’écurie. En 1931, tandis que le pays s’enfonce dans la crise et que la presse de combat multiplie les mots d’ordre, Le Canard rappelle, avec le style feutré mais acéré de Dahl, que les plus grands patriotes sont souvent ceux qui sentent… un peu trop fort.





