N° 807 du Canard Enchaîné – 16 Décembre 1931
N° 807 du Canard Enchaîné – 16 Décembre 1931
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Adolf Hitler épouvantail
Décembre 1931 : dans Le Canard enchaîné, Pierre Scize consacre une chronique à « l’épouvantail Hitler ». Tandis que la presse française s’effraie du chef nazi, Scize démonte le mythe : ce monstre, dit-il, c’est l’Europe elle-même qui l’a créé — Versailles, l’humiliation, la rancune des vainqueurs. Il dénonce aussi l’absurdité antisémite du nazisme, « une sottise érigée en programme », et conclut avec une ironie glaçante : « Hitler effraie peut-être les moineaux, pas la colombe. » Un texte visionnaire, où l’humour froid du Canard se teinte déjà d’un pressentiment historique.
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16 décembre 1931 : quand Pierre Scize démonte l’épouvantail Hitler
Un avertissement lucide, bien avant 1933
En décembre 1931, le nom d’Adolf Hitler circule de plus en plus dans la presse française. Le chef du NSDAP, fort de ses six millions de voix aux élections de septembre, s’impose comme un acteur majeur d’une Allemagne humiliée, agitée de crises et de frustrations. La République de Weimar vacille, le chômage explose, et à Paris, la peur monte. C’est dans ce contexte que Pierre Scize, chroniqueur du Canard enchaîné, signe l’un de ses textes les plus saisissants : « Adolf Hitler épouvantail ».
Dès la première ligne, le ton est donné : « Voici Hitler commis au rôle d’épouvantail. » Le journaliste ironise sur la facilité avec laquelle les milieux politiques et médiatiques français utilisent le chef nazi comme repoussoir commode, tout en feignant d’ignorer les causes profondes de son ascension.
Scize reproche à la France officielle d’avoir fabriqué elle-même ce monstre : « Si l’on avait dépensé la moitié de l’application qu’on apporte à nous renseigner sur le mouvement hitlérien pour nous montrer l’Allemagne pacifiste… » Mais non — les Français préfèrent se rassurer en voyant dans le nazisme une aberration plutôt qu’un symptôme.
L’analyse de Scize, d’une lucidité remarquable pour 1931, remonte aux racines du mal : Versailles, le ressentiment allemand, l’humiliation d’un peuple réduit par la force.
« On ne réduit pas une nation de soixante millions d’âmes par la force. Tôt ou tard, la chaudière éclate. » Cette phrase, écrite plus d’un an avant la prise du pouvoir par Hitler, sonne comme une prophétie. Scize ne justifie rien — il met en garde. Le nazisme, dit-il, est le produit d’une politique de courte vue, nourrie par la vengeance et le mépris des vainqueurs.
« C’est vous qui l’avez créé », lance-t-il aux “messieurs de Versailles, de Trianon, du Quai d’Orsay, du couloir polonais”.
Mais le chroniqueur du Canard ne se contente pas d’un diagnostic géopolitique. Il s’attaque aussi à l’idéologie hitlérienne elle-même, qu’il qualifie de « programme absurde », fondé sur « l’antisémitisme comme noyau ». Il en dénonce à la fois la bêtise et le danger, notant avec effroi que même les élites industrielles allemandes semblent séduites par cette folie. Et pourtant, il conserve une forme d’ironie désabusée : Hitler, écrit-il, « est laid, brutal, méchant. Mais il n’est pas effrayant. Il effraie peut-être les moineaux : pas la colombe. »
Scize ne croit pas encore à un Hitler triomphant — il le voit comme un démagogue condamné par sa propre démesure. Mais cette minimisation n’est pas aveuglement : elle s’inscrit dans une réflexion sur le tragique engrenage des peurs et des haines européennes. L’épouvantail, dit-il, n’est pas tant Hitler que l’usage qu’on fait de lui : un prétexte commode pour détourner l’attention des responsabilités françaises et occidentales.
L’article frappe par son équilibre : à la fois mordant, rationnel et inquiet. Dans un journal satirique où la moquerie domine, Pierre Scize signe ici une chronique politique d’une rare clairvoyance, à la croisée du pamphlet et de l’essai.
Lorsque l’on sait qu’à peine treize mois plus tard Hitler sera nommé chancelier du Reich, cette page du Canard enchaîné du 16 décembre 1931 prend une dimension presque tragique. Scize, lui, avait vu juste : l’épouvantail n’était pas un fantasme — il annonçait la tempête.





