N° 813 du Canard Enchaîné – 27 Janvier 1932
N° 813 du Canard Enchaîné – 27 Janvier 1932
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Une belle initiative présidentielle
En janvier 1932, le Canard enchaîné salue ironiquement la « belle initiative » du président Doumer : remettre la Légion d’honneur… entre le café et le métro. André Dahl transforme le chef de l’État en distributeur ambulant de rubans rouges, décorant ses amis au restaurant, dans le métro ou sur un manège à chevaux de bois. Une satire réjouissante de la vanité républicaine et du culte des distinctions, à lire comme une carte postale grinçante de la Troisième République finissante.
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27 janvier 1932 : La Légion d’honneur, service à domicile
Sous la plume d’André Dahl, le Canard enchaîné salue à sa manière « une belle initiative présidentielle » : la distribution à domicile de la Légion d’honneur par Paul Doumer lui-même. Ce faux éloge, évidemment, est une charge réjouissante contre la manie décoratrice de la Troisième République et les petits travers du chef de l’État, alors au sommet de sa popularité.
Le président Doumer, ancien industriel et parlementaire radical, multipliait en effet les gestes symboliques, parfois au mépris du protocole. En janvier 1932, il s’efforçait d’incarner un chef de l’État proche du peuple : visites d’usines, inaugurations locales, banquets d’anciens combattants. André Dahl reprend ce trait et le pousse jusqu’à l’absurde : un président qui, croix en poche, décore à tour de bras le premier venu — un ami de bistrot, un administrateur de compagnie, un passant du métro, un général de manège à chevaux de bois. L’effet comique repose sur le contraste entre la solennité supposée du ruban rouge et la trivialité des lieux.
Chez Chartier, le décor est planté : salade de lentilles, merlan frit, brie maison, et le président qui tire une croix de sa poche pour la fixer sur la poitrine d’un ami entre deux plats. Dans le métro Concorde, nouvelle scène cocasse : « Excuse-moi si je ne te donne pas l’accolade, mais dans le métro, ça remue trop ! » écrit Dahl. Le Canard s’amuse ici de la démocratisation grotesque de l’honneur, où la distinction perd tout sens dès lors qu’elle devient aussi banale qu’un ticket de métro.
La satire est double : elle vise à la fois l’obsession nationale pour les décorations — cette “maladie du ruban rouge” déjà moquée par Courteline — et le culte du geste présidentiel qui, sous couvert de simplicité, masque une profonde vanité. En brodant sur la popularité de Doumer, Dahl souligne la comédie du pouvoir : cette façon qu’a la Troisième République de se donner des airs de proximité tout en cultivant le prestige vide des symboles. L’ironie se déploie jusque dans le pastiche administratif final : la « Grande Chancellerie » qui se réserve le droit d’augmenter ses frais de déplacement si la croix est remise « à domicile ».
Lorsque l’article paraît, Paul Doumer n’a plus que quelques mois à vivre : il sera assassiné le 6 mai 1932 par un déséquilibré d’origine russe. Dahl, bien sûr, ne pouvait le savoir, mais son portrait d’un président bonhomme et infatigable prend, rétrospectivement, un accent presque attendrissant. En janvier 1932, c’est un chef d’État de 75 ans, sans réel pouvoir mais avide de reconnaissance, que le Canard transforme en livreur d’honneurs improvisé — un “postier du mérite” distribuant ses croix avec la légèreté d’un facteur Cheval.
Sous le rire, une satire sociale aiguë : dans une France en crise, où le chômage et la misère progressent, le ruban rouge reste la consolation dérisoire d’un régime qui ne sait plus comment honorer ses citoyens autrement qu’en leur épinglant des médailles.





