N° 82 du Canard Enchaîné – 23 Janvier 1918
N° 82 du Canard Enchaîné – 23 Janvier 1918
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Le 23 janvier 1918, le Canard enchaîné s’empare de l’arrestation de Joseph Caillaux, figure honnie de Clemenceau, accusé de défaitisme et bientôt de trahison. Dans son « No Man’s Land », Gaston de Pawlowski mêle ironie et causticité, dénonçant l’absurdité d’une démocratie où « chacun devrait avoir le privilège de tuer son prochain » et où l’on soupçonne tout le monde de complots. À travers les coups portés à Caillaux, c’est l’arrière tout entier, jugé suspect et lâche, qui est visé. Un texte où le rire sert de masque à une inquiétude profonde : et si la guerre avait fait de la France une nation de procureurs ?
Le flacon de gaz (dernier épisode) – signé Panthéon Courcelles – Sous ce pseudonyme, le feuilletoniste Panthéon Courcelles livre un pastiche délirant. « Le flacon de gaz » raconte l’histoire grotesque d’un jeune homme à la recherche d’un emploi, qui tombe sur une arme chimique allemande imaginaire. Tout y est : suspense outré, dialogues caricaturaux, rebondissements absurdes. Mais derrière la farce, une critique sociale pointe : ces feuilletons populaires, si prisés, ne sont que des machines à exagérer, à transformer le réel en sensation. Le Canard recycle ce code littéraire pour ridiculiser les fantasmes patriotiques et les peurs collectives. Un feuilleton à l’envers, où le rire désamorce l’angoisse des gaz.
Le petit café, dessin de Luc Cyl
Couac ! propose ses canards de 3 façons au choix
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En ce début de 1918, l’actualité politique est dominée par le « cas Caillaux ». Ancien président du Conseil, figure du radicalisme républicain, Joseph Caillaux est depuis longtemps une cible de Clemenceau. Soupçonné de chercher une paix séparée avec l’Allemagne, accusé de défaitisme et de connivences troubles, il est arrêté le 14 janvier 1918. C’est ce fait que commente Gaston de Pawlowski dans son « No Man’s Land », en lui donnant une coloration à la fois burlesque et inquiétante.
Le texte s’ouvre sur une formule choc : « Dans une démocratie, ce n’est pas raisonnable ; chacun devrait avoir le privilège de tuer son prochain ». Ironie noire, qui met en parallèle la violence du front et les querelles politiques de l’arrière. Car pour Pawlowski, ce qui se joue autour de Caillaux dépasse l’homme : c’est la société tout entière qui s’habitue à suspecter, accuser, traîner dans la boue. La démocratie ressemble à une foire où l’on distribue les coups de fusil comme les accusations.
Clemenceau, devenu président du Conseil en novembre 1917, incarne ce climat de rigueur implacable. Le « Tigre » a promis de « faire la guerre » et rien d’autre. Cela passe aussi par une chasse aux suspects dans l’arrière, où la moindre voix discordante est assimilée à de la trahison. Caillaux, pacifiste convaincu, devient l’exemple à abattre. Pawlowski souligne que cette mise au ban prend des airs de tragédie politique autant que de farce judiciaire.
L’article fait également ressortir le fossé entre le front et l’arrière. Au front, dit-il, les hommes n’ont pas le temps de se complaire dans les soupçons : ils se battent. À l’arrière, en revanche, les grenades se lancent sous forme de rapports, de dossiers, de dénonciations. La satire est claire : les ministres et les administrateurs, qui ne prennent pas les risques du champ de bataille, se rattrapent en multipliant les procès d’intention.
Au-delà du cas Caillaux, Pawlowski met le doigt sur une dérive inquiétante : la militarisation des esprits. L’« officine pacifiste » n’est plus tolérée, les débats deviennent suspects, et la démocratie elle-même se transforme en tribunal permanent. Il ironise jusqu’à comparer ce climat à une époque féodale où les grands seigneurs se disputent leurs privilèges au mépris du peuple.
Cet article, daté de janvier 1918, éclaire donc une France où la lassitude de la guerre se double d’une guerre civile larvée des esprits : ceux qui veulent continuer jusqu’à la victoire totale et ceux qui aspirent à la paix sont irréconciliables. Dans le Canard, Pawlowski choisit de tourner en dérision cette chasse aux sorcières, tout en laissant deviner qu’elle menace les libertés publiques.
À travers la caricature de Caillaux et la critique de Clemenceau, c’est bien la peur d’un pays qui s’entre-dévore que l’on perçoit. La satire garde sa fonction vitale : rire, mais pour avertir.





