N° 83 du Canard Enchaîné – 30 Janvier 1918
N° 83 du Canard Enchaîné – 30 Janvier 1918
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La bataille de Verdun, dessin de Marcel Arnac – Un album de Gus Bofa, « chez les toubibs », de Pierre Mac Orlan – L’encouragement, et deux autres dessins de Gus Bofa – Feuilleton du Canard Enchainé: La Clique du Café Brebis, par Pierre Mac Orlan –
L’accueil fait à son Canard a donné des ailes à Maurice Maréchal. Le 30 janvier 1918, il annonce la naissance d’un nouveau journal : « Le Quotidien ». « Il sera rédigé, dit-il, par les collaborateurs ordinaires du Canard enchaîné, mais les signatures nouvelles que l’on pourra y découvrir ne manqueront pas de susciter une légitime curiosité. »
Suit une liste de collaborateurs extraordinaires :
Henri Barbusse, Tristan Bernard, Anatole France, Pierre Mac Orlan, Paul Vaillant-Couturier, etc. Prestigieuse brochette dont les lecteurs ne dégusteront pas longtemps les produits : parti joyeux pour une course ambitieuse « Le Quotidien » sombre au cinquième jour. Maréchal avait dit : « Nous pensons pouvoir démontrer par des faits précis, contrôlables et contrôlés, qu’un journal sans argent peut paraître et vivre avec les seules ressources de sa vente, sans compromission d’aucune sorte. » Le Quotidien n’a pas réussi la démonstration. Seul Le Canard continue d’en faire la preuve.
Jean Egen – Messieurs du Canard – Éditions Stock –
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« La Clique du Café Brebis »
Commentaire
Avec « La Clique du Café Brebis », Pierre Mac Orlan livre au Canard enchaîné de janvier 1918 un feuilleton où la satire se mêle à la fantaisie. Ce texte, rédigé dans la veine qu’il affectionne – entre récit d’aventures, rêveries de bistrot et ironie noire – permet de prendre une respiration au milieu d’un journal marqué par la guerre et ses horreurs. Mais cette respiration est tout sauf innocente : sous l’apparente légèreté du ton, l’auteur glisse des allusions grinçantes au conflit et au climat d’incertitude de la capitale.
Le Café Brebis, invention littéraire et théâtrale, devient ici le centre d’un petit monde parisien à la fois cocasse et inquiétant. Les personnages, caricaturaux jusque dans leurs noms – Paul Bul, Kwaidan, le Compère, le Beau-frère – semblent issus d’un roman picaresque ou d’une fantasmagorie urbaine. Chacun incarne une facette grotesque de la société de l’arrière : scepticisme ironique, illusions scientifiques, vanité bourgeoise, nostalgie des cafés littéraires d’avant-guerre. Le récit oscille entre observation mordante et rêverie hallucinée, renforcée par la neige et les visions étranges qui accompagnent la promenade.
Mac Orlan, ancien soldat revenu du front, transpose son expérience de la guerre dans cet univers de fiction. Le « No Man’s Land » évoqué à la fin n’est plus seulement celui des tranchées, mais aussi celui des boulevards de Paris, transformés en terrain miné de neige, d’ordures et de visions nocturnes. La capitale devient une zone intermédiaire, à la fois lieu de survie et d’angoisse, où l’on s’égare comme dans une tranchée. La dérive au Bois de Boulogne, ponctuée d’hallucinations dignes d’Edgar Poe, renvoie aux cauchemars du combattant que la ville ne dissipe pas.
Historiquement, nous sommes dans une période charnière : janvier 1918, moment de lassitude extrême dans la guerre, avant l’offensive du printemps. À Paris, la neige et les restrictions accentuent l’impression de fin du monde. Mac Orlan transpose cette atmosphère en une fiction décalée, où l’errance urbaine reflète la désorientation collective. Le grotesque des personnages et la cocasserie des dialogues permettent de rire encore, mais c’est un rire amer, celui qui masque la peur et le chaos.
Ce feuilleton illustre la place singulière de Mac Orlan dans le Canard enchaîné. Contrairement à Pawlowski, qui use de la satire politique directe, Mac Orlan construit une mythologie parallèle : cafés imaginaires, silhouettes absurdes, visions nocturnes. Mais tous deux convergent dans leur diagnostic : la guerre a bouleversé les repères, et Paris, derrière sa façade de normalité, est devenu lui aussi un « No Man’s Land ».





