N° 84 du Canard Enchaîné – 6 Février 1918
N° 84 du Canard Enchaîné – 6 Février 1918
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On ne sait jamais
Sous ce titre lapidaire, le Canard s’amuse à démonter une formule passe-partout, chère aux manchettes sensationnalistes. « On ne sait jamais » : tout peut arriver, l’ennemi peut surgir, la victoire est possible, la défaite aussi. En résumant la logique journalistique à cette indécision permanente, le journal démasque une presse qui parle beaucoup mais n’affirme rien. Le comique repose sur la répétition du vide : l’expression peut justifier tout et son contraire. C’est une manière subtile d’attaquer la rhétorique du doute, qui, sous couvert de prudence, nourrit le bourrage de crâne et entretient la peur.
On ne sait jamais, dessin de Bour – Poursuites contre les accapareurs, dessin de Marcel Arnac – Feuilleton du Canard Enchainé, la Clique du Café Brebis II, par Pierre Mac Orlan –
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Dans « L’art de payer ses dettes », Georges de La Fouchardière manie une ironie corrosive pour parler d’un sujet qui, en 1918, préoccupe directement les finances françaises : les créances laissées par le tsar Nicolas II et par d’autres figures plus ou moins pittoresques, comme le général sud-américain Carocao.
Tout commence avec une situation bien connue des lecteurs de l’époque : les emprunts russes. Des millions de Français, souvent petits épargnants, ont prêté leur argent au gouvernement impérial de Russie avant la guerre. L’opération avait été présentée comme une œuvre patriotique : « Prêtez votre argent au tsar, Nicolas est notre ami, Nicolas est notre allié, ses reins sont solides ». Mais en février 1918, le tsar est mort, la révolution bolchevique a renversé l’Empire, et les créanciers français n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. La Fouchardière s’amuse du contraste entre la propagande d’hier et la réalité d’aujourd’hui : l’allié solide a été remplacé par un pouvoir révolutionnaire qui ne veut rien savoir des dettes du tsar.
Avec un humour grinçant, l’auteur souligne la naïveté de ceux qui croyaient que l’argent versé à Nicolas Romanof reviendrait avec intérêt. « Prêtez votre argent au tsar : vous ferez une bonne affaire », moque-t-il, rappelant que le rouleau compresseur russe censé écraser l’ennemi s’est surtout écrasé sur ses propres rails.
Mais La Fouchardière ne s’arrête pas à la Russie : il élargit son propos avec l’anecdote savoureuse du général Carocao, aventurier latino-américain envoyé en France pour acheter des canons. Loin d’investir sérieusement, il dépense son crédit dans les cabarets parisiens, les champs de courses et les brasseries de Montmartre. Quand il sollicite « cinq louis » à l’auteur pour compléter ses frasques, La Fouchardière refuse… et conclut qu’il n’a aucune inquiétude : l’État se chargera bien de rembourser ces avances, quitte à les répercuter dans les impôts des Français.
Historiquement, ce texte reflète un contexte tendu. L’année 1918 est marquée par la faillite du régime impérial russe et par la rupture des bolcheviques avec leurs alliés occidentaux. Les emprunts russes, qui avaient été vantés pendant des années par la presse et par l’État, deviennent une catastrophe financière pour des centaines de milliers de souscripteurs français. L’affaire laissera d’ailleurs des traces profondes jusque dans l’entre-deux-guerres, alimentant rancunes et revendications contre l’URSS.
Avec sa verve coutumière, La Fouchardière ne fait pas de longs discours économiques : il ridiculise, par des portraits et des anecdotes, la crédulité des petits porteurs, l’avidité des banques, et le cynisme des gouvernements qui savent toujours renvoyer la facture au contribuable. La chute, implacable, résume tout : « L’augmentation qui en résultera sur vos feuilles d’impôts sera si minime que vous ne vous en apercevrez même pas. »





