N° 843 du Canard Enchaîné – 24 Août 1932
N° 843 du Canard Enchaîné – 24 Août 1932
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Un concours du « Canard enchaîné » et de « l’Écho de Paris »
24 août 1932 : sous le titre « Les cas de conscience », un certain R. Tréno fait son entrée avec ce pseudonyme dans Le Canard enchaîné. Herriot, Painlevé, Tardieu ou Mistinguett passent à la moulinette de sa plume : entre satire politique et farce morale, ce premier texte d’un futur grand chroniqueur croque une République à bout de souffle, où même les scrupules deviennent matière à rire.
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24 août 1932 : quand R. Tréno entre en scène — les “cas de conscience” de la République en crise
Sous le titre « Les cas de conscience », publié en page 3 du Canard enchaîné du 24 août 1932, apparaît pour la première fois la signature de R. Tréno, pseudonyme appelé à devenir familier des lecteurs du journal. Et quel baptême ! Sous prétexte d’un « concours » parodique organisé de concert avec L’Écho de Paris — quotidien conservateur alors très lu —, Tréno déploie une mécanique satirique d’une précision redoutable : il croque la classe politique radicale-socialiste et ses figures majeures en pleine Troisième République, coincées entre ambitions personnelles, promesses électorales et hypocrisie institutionnelle.
Le prétexte est léger : imaginer des « cas de conscience » moraux ou politiques, à la manière d’un jeu d’esprit mondain. Mais derrière la drôlerie, l’article prend des allures de tableau clinique du pouvoir en 1932. Le ton est enjoué, la plume acérée, et la méthode typiquement canardesque : sous l’humour, la dissection.
Le jeu d’esprit comme scalpel politique
Le texte s’ouvre sur une pirouette : « Supposons que vous soyez pris entre un demi bien tiré qui vous tend la mousse, et un rendez-vous urgent avec votre percepteur. Obéirez-vous à la voix du devoir patriotique ou à celle de votre gosier altéré ? » Cette mise en bouche absurde annonce la tonalité : on va parler de morale publique, mais à la pression. Tréno enchaîne aussitôt avec une série de cas plus sérieux — ou plus féroces.
Premier visé : Édouard Herriot, chef du Parti radical, président du Conseil quelques mois plus tôt, et figure tutélaire de la gauche modérée. Pour lui, le dilemme est clair : « Tenir les promesses électorales » — au risque de se fâcher avec les milieux d’affaires — ou les trahir pour « voler au secours de sa mère malade », autrement dit, sa propre carrière. Le trait est cruel : Herriot, l’homme des compromis, devient ici le symbole du politicien oscillant entre idéaux républicains et tentations bourgeoises. Tréno conclut d’un trait de couteau : « Cas très épineux, on en conviendra, mais que M. Herriot a su trancher (et comment !) ».
Vient ensuite Paul-Boncour, ministre de la Guerre, qui vient de représenter la France à la Conférence du désarmement de Genève. Tréno lui prête un cas de conscience en forme de calembour : « Attacher son char aux étoiles de Weygand », autrement dit choisir entre la diplomatie pacifiste et la tentation d’un retour au militarisme. La dérision est fine : dans un moment où la France prétend défendre la paix tout en réarmant son budget, la contradiction saute aux yeux.
Puis vient Paul Painlevé, savant, académicien et politicien revenu de tout. Tréno imagine son dilemme suprême : accepter d’être candidat républicain face à Lebrun, « le candidat des droites ». L’ironie fuse : « Si l’on accepte, on sauve l’honneur républicain, même si l’on est battu. Oui, mais pendant les sept ans de sa magistrature, Lebrun vous fait une tête, une tête ! » Ce rire-là, plus que tout discours, dit la fatigue morale de la République parlementaire, minée par l’ambition et le conformisme.
De Tardieu à Mistinguett : le ridicule en partage
Tréno ne s’arrête pas aux grands noms du centre gauche. Il croque aussi la droite bonapartiste avec André Tardieu, ancien président du Conseil et adversaire juré d’Herriot : son cas de conscience ? Aucun. Réponse : « Tout ça, c’est des trucs à la Ngokhokho » — c’est-à-dire, à la sauce coloniale. L’homme fort de la droite est renvoyé à sa brutalité cynique.
Le ministre des Finances Germain-Martin n’échappe pas au couperet : son dilemme est purement physiologique — « La peau d’Herriot, ou celle de Paul Claudel ? » —, un jeu de mots grinçant qui mêle rivalité politique et satire de la moraline catholique. Et pour conclure, Tréno élargit le registre à la société du spectacle avec Mistinguett. Son dilemme à elle : « Un magicien vous propose de vous rajeunir de quinze ans, mais vous demande pour cela un cachet de trente-cinq francs : je vous défie de choisir ! » La chanteuse n’a pas dû accepter, « sinon ça se verrait ». La note finale claque : en 1932, la politique et le music-hall partagent la même vanité.
Le contexte : une République en crise morale
L’article paraît dans un moment de flottement politique. Herriot vient de tomber, Laval manœuvre, la gauche radicale s’essouffle. La France est engluée dans la crise économique mondiale, tandis que les scandales financiers et les affaires coloniales minent la confiance du public. Tréno, par cette première chronique, capte parfaitement le climat : celui d’une Troisième République qui se regarde le nombril en riant jaune. Derrière le ton léger, Le Canard envoie un message clair : il n’y a plus de conscience, seulement des “cas”.
Ce texte, premier du nom signé R. Tréno, annonce déjà le style qui fera sa réputation : une ironie sans pathos, une précision de caricaturiste, et une lucidité désenchantée sur les hommes de pouvoir. En 1932, c’est encore de l’humour ; quelques années plus tard, ce sera de la résistance.





