N° 85 du Canard Enchaîné – 13 Février 1918
N° 85 du Canard Enchaîné – 13 Février 1918
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Dans le No Man’s Land
Gaston de Pawlowski se livre à une étrange hypothèse : et si une épidémie de choléra avait frappé l’Allemagne en 1914 ? Elle aurait « égalisé les classes » et empêché la guerre. Satire féroce qui dénonce l’absurdité des sacrifices imposés uniquement aux soldats.
La vie trop chère, dessin de Marcel Arnac – La vie trop chère, dessin de Luc Cyl – Feuilleton du Canard Enchainé, la Clique du Café Brebis III, par Pierre Mac Orlan –
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Dans cette nouvelle livraison de sa chronique « Dans le No Man’s Land », Gaston de Pawlowski met en scène son ironie coutumière pour aborder à la fois la vie militaire, les maladies, et les perspectives de paix. Nous sommes en février 1918, à quelques semaines de la grande offensive allemande du printemps, et la lassitude du conflit se lit entre toutes les lignes.
L’article s’ouvre par une satire des promotions militaires : il prend pour exemple le capitaine Humbert, présenté comme « le seul officier qui n’ait pas profité de la guerre ». La plaisanterie vise l’absurdité d’un système où les carrières avancent plus vite que les troupes au front. Pawlowski raille la « folie de l’avancement » qui dévore l’armée, donnant à voir un système plus préoccupé par les décorations que par la vie de ses soldats.
Très vite, il élargit le propos avec une réflexion inattendue : comparer la guerre aux épidémies. Le choléra, rappelle-t-il, tuait encore des milliers de personnes au XIXe siècle. Mais à mesure que l’hygiène progresse, cette menace disparaît… remplacée par une autre, bien plus moderne : la guerre. Pawlowski pousse l’analogie jusqu’à l’absurde, affirmant que si les États se comportent comme des individus, alors ils ne déclarent pas la guerre quand ils sont « malades », mais seulement quand ils se sentent « en bonne santé ». La formule, cinglante, souligne le paradoxe de 1914 : au moment où l’Europe connaissait prospérité et excédent démographique, elle a choisi de s’entretuer.
Le texte se poursuit par une critique des ambitions de l’Allemagne, dont l’expansion coloniale et les rêves d’hégémonie rappellent l’avidité des épidémies elles-mêmes. Mais Pawlowski ne se limite pas à la dénonciation : il glisse aussi quelques piques sur l’Ukraine, sur Brest-Litovsk, et sur la prolifération d’entités nouvelles au sein d’une Europe en recomposition. Le ton reste railleur, mais derrière la farce on lit l’inquiétude face à un continent qui se disloque.
Historiquement, ce texte s’inscrit dans un moment crucial : la paix de Brest-Litovsk, en cours de négociation, consacre la sortie de la Russie bolchevique de la guerre. L’Allemagne espère en tirer avantage, mais Pawlowski rappelle que ce « trop-plein de santé » pourrait bien être la cause de sa chute. De la même façon que le choléra frappait davantage les populations bien portantes, la guerre éclate dans les sociétés les plus développées.
Cet article illustre à merveille le style de Pawlowski : partir d’une anecdote en apparence légère – un capitaine oublié des promotions, une comparaison sanitaire – pour déboucher sur une méditation ironique sur l’histoire et la politique. En février 1918, alors que la guerre semble interminable, ce mélange de dérision et de lucidité traduit le désarroi d’une société qui cherche encore du sens dans l’absurde.





