N° 851 du Canard Enchaîné – 19 Octobre 1932
N° 851 du Canard Enchaîné – 19 Octobre 1932
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M. Édouard Herriot tient tout seul une conférence à cinq
19 octobre 1932 : Édouard Herriot devait présider une « conférence à cinq » sur le désarmement. Les autres pays ne sont pas venus. Dans Le Canard enchaîné, R. Tréno transforme ce fiasco en farce : Herriot tient la réunion tout seul, se contredit, s’applaudit et conclut « à l’unanimité ». Derrière le rire, un portrait cinglant d’une République qui débat avec son propre écho.
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19 octobre 1932 : Herriot, la conférence à cinq… tenue à un — satire du désarmement et du vide politique
À la une du Canard enchaîné du 19 octobre 1932, R. Tréno signe un petit chef-d’œuvre d’humour politique : « M. Édouard Herriot tient tout seul une conférence à cinq ». Le sous-titre en dit déjà long — « au cours de laquelle il s’est mis d’accord avec lui-même » — et la suite confirme la mécanique bien huilée du Canard : sous une apparente légèreté, une charge féroce contre la stérilité diplomatique et le narcissisme verbeux du pouvoir. En 1932, alors que l’Europe chancelle sous la crise et que l’Allemagne d’Hitler s’apprête à bouleverser l’équilibre mondial, la France radicale-socialiste se regarde parler.
Une conférence fantôme
Le point de départ est véridique : Édouard Herriot, président du Conseil depuis juin 1932, souhaite organiser une grande conférence internationale sur le désarmement, en concertation avec son homologue britannique Ramsay MacDonald. Ce projet d’une « conférence à cinq » (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, États-Unis) devait permettre de relancer les négociations de Genève, embourbées depuis février. Mais, comme souvent à cette époque, les promesses diplomatiques s’évanouissent dans les divergences de calendrier, les défections et la défiance mutuelle.
Tréno s’en empare avec jubilation : à force de désistements, explique-t-il, la conférence s’est réduite de cinq à quatre, puis à deux — Herriot et MacDonald — avant que le Britannique, lassé, ne rentre chez lui. Ne reste qu’Herriot, qui décide malgré tout de tenir séance : « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! » déclare-t-il solennellement, pastichant le vers d’Hugo. À partir de là, la machine comique se déploie : le président du Conseil ouvre sa conférence, s’élit président « à l’unanimité », et se lance dans un dialogue absurde avec lui-même.
Herriot A contre Herriot B
Dans une scène digne d’un dialogue de sourds, Herriot joue les deux rôles : le chef de gouvernement et le président du parti radical-socialiste. Le premier parle de sécurité et de paix, le second prêche le désarmement et la vertu doctrinale. Ils s’interrompent, se félicitent, se contredisent avec courtoisie. « Mon cher collègue, parlons désarmement », dit l’un. « Très bien, mon cher collègue, parlons désarmement », répond l’autre. Et le débat dérive : après la sécurité de la France, on évoque Weygand, Paul-Boncour, puis Beethoven et Mme Récamier — autant de clins d’œil à la manie oratoire d’Herriot, intellectuel disert et brouillon.
La chute est irrésistible : un « communiqué » rédigé par le fidèle secrétaire Marcel Ray vient clore la séance, annonçant un accord dont « l’importance n’échappera à personne ». Tout est dit : la diplomatie d’Herriot n’avance que sur le papier, et le verbe remplace l’action. Derrière la drôlerie du texte, Tréno signe un réquisitoire contre le vide politique de la Troisième République.
La satire d’un verbe sans effet
Herriot, grande figure du radicalisme et maire de Lyon, n’est pas un novice. Son éloquence, son humanisme et sa foi européenne lui valent le respect des milieux intellectuels, mais au Canard, il incarne le parlementaire idéal pour la satire : celui qui parle beaucoup, agit peu et croit que les mots suffisent à gouverner. En 1932, son gouvernement d’union radicale, porté au pouvoir après la victoire du Cartel des gauches, s’enlise dans la crise économique et la politique étrangère prudente à l’excès. La conférence du désarmement n’est qu’un épisode parmi d’autres où la France se replie sur elle-même.
Tréno, dans sa veine la plus caustique, traduit cette impasse en un gag d’une simplicité redoutable : une conférence à un seul interlocuteur. L’absurde devient révélateur : derrière le pacifisme affiché, la République radote. Herriot, homme de livres, est dépeint comme un Don Quichotte de la diplomatie, brandissant des discours en guise d’épée. Pendant qu’il débat avec lui-même, le monde avance sans la France.
Un humour révélateur d’un climat politique épuisé
Cette charge s’inscrit dans un contexte délétère. L’année 1932 est marquée par la récession mondiale, les faillites industrielles, la montée du chômage et les premières tensions politiques entre droite nationaliste et gauche pacifiste. En Allemagne, le parti nazi vient de devenir la première force du Reichstag (juillet 1932) ; à Paris, la peur d’un nouveau conflit plane sur les esprits. Le désarmement, noble en théorie, devient un sujet de paralysie : on veut la paix, mais on redoute la faiblesse.
Le Canard résume cette contradiction en une formule : Herriot discute pour rassurer sa conscience. La République parle au lieu d’agir, se congratule de sa raison pendant que le monde se réarme. En une page, Tréno expose la faillite d’une génération politique. La conférence à cinq, devenue conférence à un, devient l’allégorie parfaite d’une diplomatie française qui tourne en rond dans la galerie des Glaces de Versailles, seule, bavarde, et déjà dépassée par l’Histoire.
Tréno, un humour de précision
Ce texte, probablement l’un des premiers grands moments de R. Tréno au Canard, annonce son style futur : la satire implacable fondée sur le dialogue et la logique jusqu’à l’absurde. Il ne raille pas seulement les hommes, mais les mécanismes du pouvoir. Sous la drôlerie, un constat désespéré : la Troisième République, en 1932, parle à vide.





