N° 866 du Canard Enchaîné – 1 Février 1933
N° 866 du Canard Enchaîné – 1 Février 1933
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Les socialistes ont surpris indignement la bonne foi de M. Daladier
Le 1er février 1933, Le Canard enchaîné s’amuse d’un gouvernement Daladier déjà condamné à vaciller. Sous le titre ironique « Les socialistes ont surpris indignement la bonne foi de M. Daladier », l’hebdo démonte la comédie parlementaire : un radical débordé, des socialistes roublards, une union nationale hypocrite. En marge, le dessin de J. Pruvost, « Un homme énergique », réduit l’énergie ministérielle à la paperasserie fiscale. Trois jours après l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, le Canard observe, lucide : la France s’enlise dans ses combines quand l’histoire, ailleurs, s’accélère.
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Les socialistes ont surpris indignement la bonne foi de M. Daladier
Le Canard enchaîné du 1er février 1933 se délecte d’un spectacle politique aussi prévisible qu’édifiant : la naissance – et déjà l’agonie annoncée – du ministère Édouard Daladier. L’hebdomadaire s’amuse d’un radical pressé de gouverner et qui, croyant bâtir une coalition solide, s’est fait rouler dans la farine par ses « amis » socialistes. La manchette ironise : « Les socialistes ont surpris indignement la bonne foi de M. Daladier ». Toute la page distille un mélange d’ironie et de désillusion, reflet d’une Troisième République épuisée par l’instabilité chronique des gouvernements.
En janvier 1933, la France est un pays inquiet : la crise économique mondiale frappe de plein fouet, le chômage s’étend, les scandales financiers se multiplient. À Berlin, Hitler est sur le point de prendre le pouvoir ; à Paris, on forme le vingt-troisième cabinet depuis 1929. Daladier, chef du Parti radical-socialiste, entend restaurer un semblant d’autorité dans le désordre parlementaire. Mais le Canard ne lui accorde aucune indulgence : sous la plume de Drégérin, on s’amuse de ce « radical clair » prêt à toutes les concessions pour gouverner. En bon instituteur de Carpentras, Daladier croit à la morale républicaine ; mais dans ce cirque politique, sa probité devient faiblesse.
Le dessin de J. Pruvost, placé sous le titre « Un homme énergique », résume à merveille la scène : un ministre penché sur son bureau reçoit la « délégation des contribuables », le doigt accusateur sur la pile de formulaires : « Faites-leur distribuer leurs feuilles d’impôts ! » L’énergie daladiérienne se réduit à une agitation bureaucratique, caricature d’un volontarisme de papier. Ce n’est plus le citoyen au service de la République, mais le commis d’État débordé par ses propres paperasses.
L’article principal raille la précipitation du nouveau gouvernement : « On s’en souvient, à peine lundi soir, la S.F.I.O. s’en venait bien tranquillement à monter sa combinaison avec les mêmes camarades, sans plus s’occuper de M. Daladier… » Le ton est celui de la trahison feutrée : les socialistes ont feint d’accepter les portefeuilles pour mieux retirer leur appui, laissant Daladier nu, au milieu d’un gouvernement bancal, sans majorité claire. L’ironie de Drégérin se double d’un constat accablant : la gauche, déjà morcelée entre réformistes et révolutionnaires, se montre incapable de solidarité dès qu’il s’agit de pouvoir.
Autour de cette chronique principale, les rubriques se répondent comme des échos grinçants. « Et toujours la main sur le cœur » moque la solennité des discours d’investiture : le Canard cite Daladier lui-même – « Tout est clair, tout est net » – pour mieux souligner le contraire. « Les fortes paroles » résonnent comme une rengaine, un refrain d’optimisme ministériel qu’on a entendu cent fois depuis la guerre. La section « Dernière minute » parachève la comédie : les annonces de nominations ministérielles sont tournées en dérision, chaque nom sonnant comme une nouvelle compromission.
Sur la droite de la page, deux encadrés viennent appuyer la satire politique d’une critique sociale plus large. Le premier, « Épargnants de la Banque de Bâle, défendez-vous ! », raille les possédants qui se posent en victimes de la fiscalité alors qu’ils évadent leurs capitaux : un écho mordant à la peur des impôts, obsession française déjà bien installée. Le second, « Vers l’union nationale », fustige les appels à un « rassemblement des honnêtes gens », formule hypocrite derrière laquelle s’abritent les cartels de la droite, la grande presse et les milieux d’affaires. L’auteur évoque André Tardieu, figure du conservatisme moderniste, qui « fait son retour aux affaires ». Pour le Canard, cette union nationale n’est rien d’autre qu’une couverture idéologique des intérêts capitalistes, un pas de plus vers la dérive autoritaire.
Ce jeu de miroirs entre satire politique et critique sociale reflète parfaitement l’état d’esprit du journal en ce début d’année 1933. Le Canard refuse à la fois le cynisme parlementaire et le chantage à l’unité nationale. Derrière le rire perce une inquiétude réelle : celle d’un pays où la crise économique, l’impuissance des partis et la montée des ligues d’extrême droite font vaciller la République. Daladier, malgré son patriotisme républicain, incarne cette faiblesse du système : l’homme honnête noyé dans la combine.
Au fil des colonnes, le ton se fait de plus en plus corrosif. « Les portefeuilles acceptés, les portefeuilles refusés… » : la valse des ambitions se déroule comme une farce. Même les dernières minutes deviennent matière à moquerie : M. Eygue Frott, député de Montargis, qui sait nager, devient secrétaire d’État à la Marine de nuit. C’est tout le carnaval politique de la Troisième République résumé en une ligne.
Ainsi, dans cette édition du 1er février 1933, le Canard enchaîné dresse le portrait d’une République au bord de la rupture, où les alliances se font et se défont dans la coulisse pendant que la rue gronde. Derrière la plaisanterie sur la « bonne foi » de M. Daladier se profile une angoisse historique : celle d’une gauche divisée et d’une droite qui, au nom de l’ordre, prépare déjà sa revanche. Le rire du Canard, ce mercredi-là, a un goût amer.





