N° 921 du Canard Enchaîné – 21 Février 1934
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Le 21 février 1934, au cœur du chaos politique qui suit les émeutes du 6 février, Tristan Bernard signe une lettre ouverte cinglante aux avocats parisiens. Lui, l’ancien stagiaire de la Cour d’appel, voit avec effroi une « légion d’avocats » descendre dans la rue, robe au vent, transformant un symbole de justice individuelle en uniforme corporatiste. Dans un pays secoué par Stavisky et la chute du gouvernement Daladier, Bernard rappelle une vérité simple : la robe sert à défendre un homme, jamais une meute. Une leçon de calme en plein tumulte.
« Quand Tristan Bernard rappelle aux avocats ce que signifie vraiment “la robe” »
Le texte que publie Le Canard enchaîné le 21 février 1934, une semaine après les émeutes du 6 février, n’est pas un billet drôle. C’est un rappel à l’ordre. Un retour aux fondamentaux signé Tristan Bernard — romancier, dramaturge, ancien avocat stagiaire à la Cour d’appel de Paris, et moraliste ironique. Dans cette “Lettre ouverte à M. le Bâtonnier”, il convoque l’histoire, la robe, la justice et l’honneur d’un métier qui, lui aussi, vacille dans un pays où tout semble glisser vers la haine et la brutalité.
Pour comprendre le texte, il faut revenir sur ce fameux 7 février 1934, au lendemain des violences des ligues qui ont fait 15 morts. Ce jour-là, une assemblée impressionnante d’avocats se réunit place Dauphine pour protester contre l’attitude du gouvernement Daladier et l’éviction du préfet Chiappe. Ce rassemblement, exceptionnel dans son ampleur comme dans son symbolisme, est salué par la droite comme un élan corporatiste retrouvé — et dénoncé par la gauche comme une manifestation de « la robe descendue dans la rue ». La magistrature, vilipendée depuis l’affaire Stavisky, est accusée d’inertie, voire de complicité. L’avocature, elle, semble vouloir reprendre une place sur la scène politique.
C’est cette récupération symbolique que Tristan Bernard attaque, mais sans rage. Avec son ironie douce-amère, il rappelle qu’il a « prêté serment en 1887 » et qu’il a connu un temps où la robe signifiait d’abord la modestie, la responsabilité, le doute, et non la posture collective. En témoigne son anecdote sur les réunions du jeune barreau : les anciens, dit-il, parlaient « de la dignité de notre profession », interdisaient les outrances, proscrivaient les effets de manche partisans. L’avocat ne devait pas hurler avec les loups. L’avocat devait être celui qui empêche justement la meute d’exulter.
Or ce 7 février, note Bernard, la meute, pour une fois, portait la robe.
D’où l’ironie, presque désolée, de son constat : il y a quelque chose d’inquiétant à voir « une légion d’avocats » quitter le prétoire pour battre le pavé, et à assister à la transformation de la robe en drapeau politique. L’auteur prend soin de rappeler que de telles manifestations, même impressionnantes, ne sont pas un progrès moral. Elles ne consolident pas la justice : elles l’exposent à la suspicion. L’avocat n’est pas un “milicien” de la réaction. Il n’est même pas un tribun naturel du peuple. Son rôle, insiste Bernard, est beaucoup plus fragile : défendre les individus un par un, pas les foules ; s’élever contre les emballements, pas les accompagner.
Ce que Tristan Bernard cherche à protéger ici, c’est la valeur symbolique de la robe : un outil individuel, jamais un uniforme partisan. Lorsqu’il raconte qu’il ne s’est « jamais vu circuler des troupes d’avocats en robe », c’est un rappel à l’ordre professionnel — et un avertissement politique. Car en descendant collectivement dans la rue, les avocats risquent de prêter à la justice un visage militant, dans un moment où la République chancelle.
Le texte répond également aux dérives d’une opinion chauffée à blanc par l’affaire Stavisky. Depuis janvier, la droite parlementaire et les ligues d’extrême droite martèlent le thème du « gouvernement pourri », des « juges complices », du « système véreux ». Les manifestations du 6 février ont été justement l’expression violente de ce discours. Le 7 février, la manifestation d’avocats en robe apporte un supplément dramatique à ce climat : elle laisse croire que même la justice renie sa propre retenue.
Tristan Bernard réplique en rappelant que la robe n’est pas une torche : c’est un habit de lucidité.
Il ne s’adresse pas seulement au bâtonnier. Il écrit aussi pour les lecteurs du Canard — ceux qui observent avec effroi la décomposition institutionnelle accélérée depuis plusieurs semaines. Sa lettre est autant une défense de la dignité professionnelle qu’une critique implicite de la récupération politique qui a suivi les émeutes.
Dans sa conclusion, il abandonne l’ironie pour un ton de peine intime :
« Le seul sentiment que j’éprouve est celui d’une peine profonde. »
On sent l’ancien avocat désespéré de voir la robe — son ancienne robe — devenir l’accessoire d’une dramaturgie politique dont il se méfie.
Cette page est à la fois un document historique et un avertissement :
dans les moments de fièvre collective, ce ne sont jamais les hurlements qui sauvent la justice.





