N° 926 du Canard Enchaîné – 28 Mars 1934
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La Rocque, la République… et la tondeuse d’assaut : Drégerin démonte les Croix-de-Feu
Dans son article du 28 mars 1934, Drégerin décortique — par l’absurde — le « programme officiel » des Croix-de-Feu. Monarchie héréditaire, messe obligatoire, liberté surveillée, pas cadencé : tout y passe, jusqu’à une réglementation hilarante de la coupe de cheveux pour « tenue d’assaut ». Sous l’ironie, le Canard montre la vérité d’un mouvement qui se prétend légaliste mais rêve d’encadrement, d’uniforme et de discipline. Une satire brillante qui, moins de deux mois après les émeutes du 6 février, sonne comme un avertissement : la République n’a jamais été aussi proche de ceux qui veulent la coiffer à la tondeuse.
À la fin de mars 1934, la France n’a pas encore repris son souffle après les émeutes du 6 février. La crise Stavisky continue d’empoisonner la vie politique. Le gouvernement Doumergue tente de restaurer une autorité vacillante. Et tandis que la République panse ses plaies, les ligues d’extrême droite, elles, n’ont jamais été aussi prospères. Parmi elles, un mouvement attire particulièrement l’attention : les Croix-de-Feu, dirigées par le colonel François de La Rocque, organisation paramilitaire en uniforme, casquée, qui défile comme une armée parallèle sous couvert d’« anciens combattants » disciplinés.
Pour le Canard, il n’était pas question de laisser passer l’occasion.
Drégerin — l’un des maîtres du sarcasme feutré — publie ce 28 mars 1934 une perle satirique prenant pour cible la publication annoncée du « programme officiel » des Croix-de-Feu. Et comme toujours chez lui, le retournement est total : plutôt que d’attaquer frontalement, il pousse les déclarations supposées des Croix-de-Feu jusqu’à l’absurde, pour en faire éclater l’idéologie.
Dès les premières lignes, le ton est donné. On se moque des naïfs qui continuent de prétendre que La Rocque ne serait « pas réactionnaire ». Drégerin adopte l’ironie du commentateur bienveillant qui feint de défendre les Croix-de-Feu — manière d’enfoncer davantage le clou. Car le programme qu’il décrit est une caricature douloureusement fidèle :
monarchie héréditaire,
« neutralité » religieuse imposant la messe obligatoire,
liberté individuelle stricte… mais encadrée par le pas cadencé,
condamnation de la violence… sauf celle de la matraque,
et le tout emballé dans un langage administratif grotesque, comme si l’on réglementait la circulation des omnibus.
L’un des passages les plus brillants est la transformation du mouvement en institution normative de la coiffure fascisante. Drégerin dresse un tableau irrésistible du colonel La Rocque, penché sur différents modèles de tondeuses « soumis par des techniciens autorisés », afin d’unifier la coupe de cheveux des troupes pour la « tenue d’assaut ».
C’est là que perce tout le génie de la satire :
faire surgir la réalité totalitaire à travers un détail dérisoire.
Ce qui pourrait paraître une plaisanterie capillaire devient, sous la plume de Drégerin, un symbole très clair : les Croix-de-Feu veulent tout réglementer — les gestes, les corps, les têtes — au sens littéral comme au figuré.
Il ajoute, pince-sans-rire, que la « tenue de travail » impose le port du chapeau. La mention semble bénigne, mais elle renvoie à une vérité plus lourde : les Croix-de-Feu ne sont pas un simple groupe d’ex-combattants, mais une organisation uniformisée, hiérarchisée, disciplinée, qui rêve de se substituer à l’État.
Le cœur de l’article réside dans cette structure :
- Drégerin prend au sérieux, mais pour mieux les dynamiter, les prétentions morales du mouvement ;
- il fait glisser la « défense de la République » vers la « monarchie héréditaire » ;
- il montre comment « l’attachement à la légalité » masque des méthodes de force ;
- il souligne que la « neutralité philosophique » équivaut ici à la domination religieuse,
- et que la « liberté individuelle » s’exerce dans le respect de cadences militaires dignes d’un régiment.
L’ensemble crée une mécanique d’évidence :
ce prétendu mouvement d’ordre est une entreprise de subversion autoritaire.
Il faut se rappeler qu’en mars 1934, La Rocque cherche précisément à maquiller son organisation en force légaliste et modérée afin d’échapper aux mesures de dissolution. Après le 6 février, où les Croix-de-Feu ont été aperçus place de la Concorde (sans participer à l’assaut final, ce dont La Rocque se vantera ensuite comme d’une preuve de modération), leur image oscille entre deux pôles :
- pour la droite et le centre, ils seraient un rempart contre les « rouges » ;
- pour la gauche, ils sont des fascistes en uniforme.
Drégerin, lui, tranche la question en une phrase :
« défense des institutions républicaines dans le cadre de la monarchie héréditaire ».
En un trait, tout le paradoxe est rendu grotesque.
En un trait, tout est dit :
les Croix-de-Feu prétendent sauver la République, mais rêvent d’en abolir la substance.
En cela, cet article n’est ni une simple moquerie, ni une fantaisie de page 3 : c’est un avertissement. Derrière l’ironie, Drégerin rappelle que les dérives autoritaires commencent toujours par un « programme » flou, une organisation disciplinée, un vocabulaire de respectabilité… et une obsession du contrôle.
À l’heure où l’Europe voit monter les fascismes, où Hitler consolide sa prise sur l’Allemagne, où l’Italie de Mussolini sert de modèle à une partie des droites françaises, ce texte du Canard fonctionne comme un réactif :
il dévoile l’ADN fascisant des Croix-de-Feu en montrant ce que leur logique produirait si on la prenait au sérieux.
Ce n’est pas la République que décrit Drégerin.
C’est son futur cadavre.





